L'art tel qu'on le regarde, qu'on l'entend, qu'on le perçoit... L'usage de l'art sera à l'honneur pour cette 15ème édition du festival ajaccien. L'usage non pas au sens utilitaire qui pourrait le rendre "non-essentiel" aux yeux d'une société néo-libérale... non, l'usage de l'art au sens où il nous sert à penser, à vivre, à nous créer un art de vivre. Et ce, via une sélection d'une vingtaine de films empreints de cette émotion artistique, esthétique, voire existentielle, ressentie face à une oeuvre. A l'image de l'incroyable palette émotionnelle filmée par le cinéaste Herz Frank sur les visages d'enfants regardant un spectacle de marionnettes dans son très beau court métrage documentaire, Dix minutes de vie.
Nombre de cinéastes, et non des moindres, ont cherché à mettre en images et en sons cette mystérieuse émotion artistique. Akira Kurosawa a pénétré dans les tableaux de Van Gogh, André S. Labarthe s’est approché au plus près de la « lave volcanique » d’Antonin Artaud, Pasolini a démonté la scène de la crucifixion, Alain Resnais réanime le Guernica de Picasso, Clément Cogitore visite des collectionneurs fous, Wim Wenders compose un hommage à Pina Bausch, Eric Pauwels tourne avec Anna Teresa de Kermaker, Chris Marker court derrière Robert Matta, Straub et Huillet visitent le Louvre avec Cézanne, Werner Herzog découvre la naissance de l’art dans la grotte Chauvet, Apichatpong Weerasethakul joue au cadavre exquis dans les campagnes thaïlandaises… Autant de fervents exercices d’admiration entre artistes qu’ils nous offrent en partage dans ces six jours de festival.
Deux de ces films seront montrés en 3D. Une vraie valeur ajoutée au film de Werner Herzog, La grotte des rêves perdus comme à celui de Wim Wenders, Pina. Ces deux films cherchant à transmettre par l’image le bouleversement dans lequel les plonge leur découverte respective. Pour l’un, les peintures rupestres du Néanderthal, pour l’autre, la chorégraphie fougueuse de Pina Bausch qu’il répand dans la ville.
"L’art est un mensonge qui nous fait comprendre la vérité". Attribuée à Picasso, cette formule sert d’emblème à cette méditation d’Orson Welles sur la vérité de l’art et l’art du faux. Avec le cinéaste François Reichenbach, il fait le portrait d’un des plus grands faussaires, Elmyr de Hory qui imitait admirablement les œuvres des artistes peintres contemporains. Habillé en magicien, derrière sa table de montage, Welles intrigue et jongle avec la vérité et le mensonge. On se souvient que Welles fut le maître d’œuvre de l’un des plus grands canulars du XXème siècle, son émission de radio d’après La guerre des mondes de H.G. Wells qui créa la panique aux Etats Unis en 1938.
F for Fake (dont le titre français fut Vérités et Mensonges), l’un de ses derniers films, réalisé en 1973 n’est donc pas par hasard une réflexion sur le cinéma comme art de l’illusion. Il est le film-testament d’un démiurge fascinant. Cette question de la manipulation des images revêt une telle actualité aujourd’hui que ce titre anglais F for Fake n’a plus guère besoin de traduction française !
Le vendredi 8 octobre à 21h
Les 25 films, courts et longs métrages sélectionnés pour la thématique de cette édition sont:
- Le mystère Picasso de H.G. Clouzot (78', France, 1956)
- Dix minutes de vie de Herz Frank (10', URSS/Lettonie, 1978)
- F for fake d'Orson Welles ( 85', France, Iran, Allemagne, 1978)
- Le jardin des délices de Jean Eustache (30', France 1981)
- Le retour du fils prodigue de Marcel Teulade (33', France, 1982)
- La Ricotta de Pier Paolo Pasolini (35', Italie, 1963)
- Tenebrae factae sunt de Pascal Aubier (11', France, 1965)
- Son chant de Vivian Ostrovsky (12', France, 2020)
- Felix in Wonderland de Marie Losier (51', France 2019)
- Solo d'Artemio Benki (90', France 2020)
- Mysterious object at noon d'Apichatpong Weerasethakul (90', Thaïlande, 2000)
- Comme brille l'étoile du matin de Géraldine Kouzan (27', France, 2020)
- Artaud cités, atrocités d'André S. Labarthe (47', France, 2000)
- Fifi hurle de joie de Mitra Faharani (97', Etats-Unis/France, 2013)
- Tableau avec chutes de Claudio Pazienza (103', Belgique, 1997)
- Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais (78', France 2019)
- Une visite au Louvre de J.M. Straub et D. Huillet (48', France, 2004)
- Matta 85 de Chris Marker (14', France 1985)
- Les corbeaux d'Akira Kurosawa (10', Japon, 1990)
- A bigger Splash de Jack Hazan (106', Etats-Unis, 2019)
- La grotte des rêves perdus de Werner Herzog (90', Allemagne, 2010)
- Guernica d'Alain Resnais (13', France, 1950)
- Bielutine de Clément Cogitore (40', France, 2011)
- Violin phase d'Eric Pauwels (12', Belgique, 1985)
- Pina de Wim Wenders ( 106', Allemagne, 2011)
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.