Deux séances pour les scolaires avec le film de Werner Herzog, La grotte des rêves perdus (2010). Une visite magistrale du cinéaste allemand dans la grotte Chauvet. Une leçon d’histoire et de cinéma animée par Mélanie Pavy, réalisatrice. Séances suivies d’un débat avec les élèves.
Le dispositif de l'atelier est simple, que nous organisons chaque année: la projection d'un film suivie d'une discussion avec nos invités. Il s'agit pour nous de faire (re)découvrir aux élèves la magie de la salle de cinéma, d'une projection collective, sur grand écran. Il s'agit aussi, grâce à nos invités qui accompagnent le film, de permettre une discussion sur le film. Sur sa fabrication (notre animatrice est une "professionnelle" du cinéma), mais aussi sur la lecture que l'on peut en faire.
L'expérience des ateliers scolaires organisée les années précédentes nous encourage à mélanger les âges. Un mélange stimulant pour les unes et les autres classes. Les projections sont ouvertes au public, toujours dans cette volonté de mélanger les âges. Deux ateliers scolaires sont organisés cette année autour du même film, ouverts aux classes des collèges et lycées d'Ajaccio, mais aussi de la région.
LES MARDI 13 et JEUDI 15 OCTOBRE
de 9h30 à 11h30 à A L’ESPACE DIAMANT
90 min, VO, Allemagne (2011)
A partir de 10 ans
En 2010, le cinéaste allemand Werner Herzog obtient l’autorisation exceptionnelle de filmer la grotte Chauvet, découverte en 1994 en Ardèche. Une grotte immense où furent réalisées, il y a près de 36 000 ans des centaines de peintures rupestres, œuvres spectaculaires – presque deux fois plus vieilles que les peintures rupestres les plus anciennes découvertes jusqu’alors.
Protégée du monde depuis 35 000 ans, la grotte Chauvet est un sanctuaire incrusté de cristaux et rempli de restes pétrifiés de mammifères géants de la période glaciaire. En 1994, les scientifiques découvrent la grotte et y découvrent des centaines de peintures rupestres, des œuvres d’art spectaculaires réalisées il y a plus de 30 000 ans. Ces dessins, ces œuvres ont été créés à l’époque où les hommes de Neandertal parcouraient encore la terre, en un temps où les ours des cavernes, les mammouths et les lions étaient les espèces dominantes sur notre continent.
Dans un saisissant voyage visuel, Werner Herzog nous entraine à la rencontre de nos très lointains ancêtres, à la découverte de la naissance de l’art.
La projection sera suivie d’un débat animé par Mélanie Pavy, réalisatrice.
Werner Herzog, 68 ans et une soixantaine de films au compteur, est le cinéaste bavarois le plus explosif que l'on connaisse. De fictions en documentaires, d'Aguirre, la colère de Dieu (1972) à Grizzly Man (2005), ce baroudeur prométhéen, partenaire électif de l'halluciné Klaus Kinski, n'a jamais eu qu'un objet de prédilection : l'exploit. Artistique, sportif, scientifique, linguistique, mental, physique, peu lui chaut, dès lors qu'il met en jeu la tension, et souvent la folie, par laquelle l'homme cherche à dépasser ses propres limites. C'est qu'au bout de la chaîne, réussite ou échec, se tient toujours l'impénétrable mystère de notre présence au monde.
La Grotte des rêves perdus, son nouveau documentaire, joint l'exploit au mystère. L'exploit, dont Herzog peut et ne manque d'ailleurs pas de s'enorgueillir, consiste à avoir arraché aux autorités compétentes l'autorisation de filmer sans doute pour la dernière fois la grotte Chauvet.
Dernière, mais pas première, comme l'affirme un peu vite le film, puisque le réalisateur Pierre-Oscar Lévy l'y avait précédé dès 2000. Ce lieu situé en Ardèche, extraordinairement protégé en raison de sa fragilité, regroupe l'ensemble de peintures pariétales le plus ancien au monde, un trésor de l'humanité riche de quelque quatre cents oeuvres datant d'il y a plus de trente mille ans. De quoi faire passer les croquis de Lascaux, qui remontent à dix-sept mille ans, pour de l'art moderne.
Le mystère est quant à lui partout dans le film. Du miracle de la préservation de ces peintures jusqu'au signe fascinant que nous envoient à travers elles nos ancêtres Sapiens, en passant par la remise en question de la théorie sur le développement linéaire de l'art que cette découverte a suscitée.
Mystère encore, et sans doute le plus épatant de tous, que la manière dont Herzog transforme cette passionnante exploration pédagogique en une sorte de transe méditative ouverte sur la singularité originelle de notre espèce, seule pour une raison qu'on ignore à représenter le monde qui l'entoure. Découverte en 1994 par les spéléologues Jean-Marie Chauvet, Eliette Brunel et Christian Hillaire, la grotte doit la remarquable préservation de ses trésors à l'effondrement du plafond de son entrée, il y a vingt mille ans.
Son accès est depuis lors restreint à des missions scientifiques triées sur le volet, dont les experts sont régulièrement sollicités par le réalisateur. Témoignages passionnants, qui n'échappent pas toujours aux pointes d'humour du cinéaste, désireux de marquer la limite de la raison scientifique, telle cette démonstration calamiteuse du lancement de javelot paléolithique par un expert sympathique mais petit bras.
On découvre surtout, grâce à la caméra de Herzog, l'intérieur de ce sanctuaire interdit, à la beauté minérale, au parois ornées d'un riche bestiaire (une quinzaine d'espèces représentées). Les peintures reproduisent des scènes de chasse, de lutte, d'accouplement, qui semblent captées sur le vif, et témoignent d'une technique élaborée, qui joue de l'alliance entre le trait et la surface, avec des effets saisissants de perspective, de mouvement, de relief. Le cinéaste s'y attarde longuement, silencieusement, presque religieusement.
Il les filme de surcroît en 3D, dont l'usage au cinéma, eu égard à la multiplication récente des navets tridimensionnels, n'aura jamais été plus justifié, esthétiquement et conceptuellement.
Ce film magnifique invite les vivants que nous sommes à éprouver ce que les premiers morts de notre espèce ont voulu nous transmettre. Il permet aussi de comprendre que le plus profond témoignage de la conscience qu'a l'homme de sa présence énigmatique au monde passe par la création. Herzog, cinéaste mediumnique qui reconduit l'inquiétude de ces pionniers de l'image en mouvement, trouve là une définition de l'art à sa mesure.
Après un double cursus de maîtrise en Histoire et en Ethnologie, Mélanie Pavy obtient un master en réalisation documentaire. Elle se forme au montage, comme assistante sur les films de Claire Simon, Atiq Rahimi et Nikita Mikhalkov, avant de devenir chef-monteuse. Dans le même temps, elle entreprend ses propres réalisations, des projets personnels ou collectifs, qu’elle élabore dans le cadre de résidences artistiques. En 2012 elle est pensionnaire de la villa Kujoyama pour la réalisation, avec Idrissa Guiro, de Cendres, son premier long-métrage, sorti en salle en juin 2015.
Elle est actuellement doctorante en Cinéma au sein de la FEMIS et de l'Ecole Normale Supérieure.
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.