EDITORIAL NOW FUTUR
REPENSER LE FUTUR
Réchauffement climatique, extinction des espèces, contamination radioactive... l’actualité ces dernières années n’a de cesse de nous confronter à l’état catastrophique des relations que nos sociétés entretiennent avec notre planète.
Le récent rapport du GIEC, publié le 8 octobre dernier, qui appelle les politiques à prendre leurs responsabilités pour éviter « des catastrophes irréversibles autant pour les humains que pour beaucoup d’autres espèces vivantes », en est le signe.
Mais l’une des caractéristiques de cette crise réside dans l’ampleur, la
démesure et la précipitation de ses conséquences, qui tendent à nous laisser
paralysés. Comment penser et donc agir face à des bouleversements qui nous débordent? Le récit d’un monde dans lequel
l’Homme viendrait à bout des aléas d’un
environnement chaotique et hostile par les progrès de ses inventions technologiques, a semble-t-il atteint sa limite.
Les films que nous avons choisi de montrer dans cette programmation « Now Future », ne donnent pas de solutions toutes
faites. Ils observent et nous donnent à penser un monde qui a basculé dans une réalité étrange où ce que nous imaginions du futur est parfois déjà présent. Un univers régi par des conceptions du temps et de l’espace souvent paradoxales, dans lequel
l’homme a cessé d’être le seul héros central et pensant, et doit organiser sa cohabitation avec des entités animales, invisibles, virtuelles ou climatiques.
A travers des formes narratives originales, empruntant volontiers à la fiction voire à la science-fiction, ils nous proposent des
récits d’un nouveau genre qui nous obligent à repenser l’action politique et
nous enjoignent, par leur créativité, à bâtir des modes de pensée complexes, capables d’appréhender ce réel en pleine mutation.
Mélanie Pavy
- 2001 Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick (141', 2008, USA)
- Dans les limbes d'Antoine Viviani (85', France, 2015) en présence du réalisateur
- Planete ∑ de Momoko Seto (11', France, 2014) en présence de la réalisatrice
- La Jetée de Chris Marker (20',France, 1962) présenté par Jean-Marie Barbe
- On destruction and preservation de Maija Balfield (32', Finlande, 2018)
- Into eternity de Michael Madsen (75', Danemark, 2011)
- Out of the present de Andrei Ujica ( 92', Roumanie, 1995)
- Quatre bâtiments face à la mer de Philippe Rouy ( 47', France, 2012) en présence du réalisateur
- Machine to machine de Philippe Rouy (32', France 2013) en présence du réalisateur
- Aequador de Laura Huertas Millan (19', France, 2012)
- Disneyland mon vieux pays natal d'Arnaud Des Pallières (45', France, 2002)
- Le temps des grâces de Dominique Marchais (123', France, 2009)
- Le coeur du conflit de Judith Cahen et Masayasu Eguchi (79', France/Japon, 2017) en présence des réalisateurs
- Sans soleil de Chris Marker (104', France 1983)
- Climatic species de Christiane Geoffroy (38', France, 2018) en présence de la réalisatrice
- Sub de Julien Loustau (45', France 2006)
- Genesis 2.0 de Christian Frei et Maxim Arbugaev (113', Suisse, 2018)
- Va Toto! de Pierre Creton (94', France, 2017) en présence du producteur
- Nul homme n'est une île de Dominique Marchais (96', France, 2018)
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.