Ouvrir une fenêtre sur le monde et sur l’autre, en offrant le meilleur du cinéma documentaire. Telle était l’ambition de Corsica.Doc en lançant ces premières Rencontres du film documentaire d’Ajaccio les 21, 22 et 23 septembre dernier.
En un week-end il s’agissait de faire découvrir un florilège de trente films venus des cinq continents, de rencontrer les cinéastes majeurs de ce cinéma du réel en plein renouveau, d’initier des ateliers et des débats avec les professionnels du documentaire… Bref, de créer un nouveau rendez-vous à la fois cinéphilique et ludique sur la ville ! Ce fut un pari pleinement réussi.
Le public est venu nombreux aux projections, aux débats et aux soirées festives, plébiscitant ce nouveau festival de cinéma organisé par l’équipe de Corsica.Doc.
Du 21 au 23 septembre, plus de mille spectateurs ont investi le Palais des Congrès où se déroulait cette première édition dédiée aux femmes et intitulée « Nos héroïnes ». Une première édition parainnée par l’actrice-cinéaste, Sandrine Bonnaire qui venait présenter son film, Elle s’appelle Sabine.
autres cinéastes représentés étaient Carmen Castillo, Dominique Cabrera, Agnès Varda, Chris Marker ou Johan Van der Keuken. Qu’ils appartiennent au patrimoine du cinéma ou qu’ils proviennent de la jeune génération de cinéastes, les films sélectionnés avaient tous cette même résonnance à la fois intime et universelle.
La Carte blanche offerte au Cinéma du Réel et présentée par sa directrice, Marie-Pierre Duhamel-Müller, a été l’un des grands moments de cinéma de ces Rencontres. Outre les projections, qui ont drainé un public attentif tout au long de ces deux journées, les ateliers, animés par Marie-Pierre Duhamel-Müller et Bernard Bastide, ont réuni une vingtaine de participants. Un atelier scolaire, animé par Michèle Soulignac, directrice de Périphérie a rassemblé près d’une centaine de collégiens et lycéens ajacciens. De nombreux débats ont jalonné ces Rencontres, permettant l’échange entre le public et les cinéastes, monteurs, producteurs ou distributeurs de documentaires.
Corsica.Doc a rencontré ce week-end un public ajaccien avide de choix artistiques, de regards sensibles et engagés, de débats et d’initiation aussi. Et c’est dans une joyeuse communion d’esprits que l’équipe et le public de Corsica.Doc ont pu célébrer, trois soirs durant, la vigueur et la délicatesse du documentaire, ce cinéma qui nous regarde. Un premier Corsica.Doc qui en appelle beaucoup d’autres. A l’année prochaine !
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.