C’est sur cette problématique terriblement actuelle du hiatus entre « le village et le monde » que s’est articulée cette deuxième édition de Corsica.Doc. Comme pour la précédente édition, des films contemporains et ceux exhumés du patrimoine cinématographique composaient ce programme. Une trentaine de films en tous genres et tous formats qui décryptent, chacun à sa manière, cette déflagration de l’espace de vie des hommes, un phénomène moderne dont la « mondialisation » mais aussi la « désertification des campagnes » ou « le rapport Nord-Sud » sont les aspects les plus nommés, si ce n’est les plus visibles.
Ce cher mois d’août un film franco-portugais de Miguel Gomes en ouverture du festival. En présence du réalisateur
- Gros plan sur la jeune cinéaste géorgienne, Nino Kirtadze, avec la présentation de trois de ses films, dont son dernier documentaire, Le village des fous, en avant-première le 13 septembre. En présence de la réalisatrice.
- Les Braves. Premier opus d’une série du cinéaste Alain Cavalier.
-Puisque nous sommes nés, le troisième film de Jean-Pierre Duret et Andrea Santana, sélectionné au dernier festival de Cannes. En présence des réalisateurs.
- Koto corse, le deuxième film et premier documentaire d’un remarquable chef monteur de cinéma, Yann Dedet, tourné en Corse. En présence du réalisateur.
De jeunes (et grands) cinéastes déclinent notre thème sous les angles ethnographique, écologique, touristique, politique. Entre autres films remarquables : Le goût du Koumiz de Xavier Christiaens, Eux et moi de Stéphane Breton, Eclairs d’été de Nicos Ligouris, Le jour du pain de Sergueï Dvortsevoy, Les Hommes d’Ariane Michel, Pour un seul de mes deux yeux de Avi Mograbi, No London today de Delphine Deloget…
- Mosso Mosso de Jean-André Fieschi (en sa présence), Notre siècle de Artavazd Pelechian, Tabu de F.W. Murnau, Bergers d’Orgosolo et Bandits d’Orgosolo de Vittorio de Seta, Genèse d’un repas de Luc Moullet (en sa présence)…
AU FID DE MARSEILLE
Après le Cinéma du Réel en 2007, c’est au Festival International du Documentaire de Marseille que nous avons offert une « Carte Blanche » pour cette deuxième édition 2008. Quatre films au programme : Emerald de Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande), Lettre à la prison de Marc Scialom (France), Au loin des villages de Olivier Zuchuat (France) , Iraqi Short Films de Mauro Andrizzi (Argentine)
Corsica.doc, ce sont aussi des rencontres entre les cinéastes et le public, et des rencontres « professionnelles ».
Les rencontres avec les cinéastes invités à présenter leurs films à Ajaccio :
Miguel Gomes, Luc Moullet, Jean-André Fieschi, Nino Kirtadze, Jean-Pierre Duret, Andrea Santana, Yann Dedet, etc.
- La présentation des films a été assurée par les organisateurs de Corsica.Doc, mais aussi par de fins connaisseurs du cinéma: Marie-Pierre Duhamel-Müller (membre du comité de Sélection de la Mostra de Venise), Jean-André Fieschi (écrivain, cinéaste), Michèle Soulignac (directrice de Périphérie), Jean-Pierre Rehm (directeur du FID Marseille).
- Un rendez-vous professionnel sur l’exploitation des salles de cinéma en Corse, avec Claude-Eric Poiroux (responsable d’Europa Cinémas) a réuni de nombreux acteurs du secteur en Corse.
La première compétition entre des premiers films documentaires de production française a réuni plus de 110 candidats. Deux jurys ont, chacun, attribué un prix aux films sélectionnés. Un jury « Corsica.Doc » composé de cinq professionnels : Président : Luc Moullet, cinéaste. Marie Balducchi (productrice à Agatfilms). Anne Alessandri (responsable du Fonds Régional d’Art Contemporain de Corse). Jean Pierre Savelli (graphiste). Laure Salama (dramaturge, actrice).
Un jury « jeune public » composé de cinq lycéens et étudiants corses.
C’est le film Barcelone ou la mort de Idrissa Guiro qui a remporté le prix
«Corsica.Doc» et le film Stolen Art de Simon Backès qui a remporté le prix « jeune public ».
Deux matinées ont été consacrées à un atelier scolaire préparé en amont depuis plusieurs mois avec des enseignants des lycées ajacciens. Deux classes du lycée Laetitia d’Ajaccio ont participé à ces ateliers d’initiation à l’image documentaire et au montage. Ils furent animés comme l’an dernier par Michèle Soulignac, directrice de l’association Périphérie.
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.