Aux Etats-Unis, dès l'origine du cinéma, des cinéastes se sont affranchi de l'esprit des studios hollywoodiens, et ont tourné leur camera sur la vie, sur le réel. Insufflant donc un regard différent voire critique sur l'épopée pionnière de ce "Nouveau Monde" du XXème siècle.
En 1914, le grand photographe Edward S. Curtis filme les Indiens d'Amérique s'attachant à rendre compte de leur fière culture. Son film, In the land of the head hunters,est l'envers des westerns qui font déjà à l'époque le miel du cinéma américain avec comme principal archétype l'homme blanc civilisé face à l'Indien sauvage et cruel. En 1956, Lionel Rogosin filme les miséreux d'un quartier de New York. En pleine guerre froide, un tableau en noir et blanc qui est l'envers du rêve économique américain. On the Bowery sera alors Lion d'or du documentaire au festival de Venise.
En 1971, Melvin Van Peebles inaugure ce que l'on appellera la "blacksploitation" en starisant des Noirs à l'écran. Et de quelle manière alors! Sweet sweetback's Baadassss Song est un road movie jazzy et insolent surgissant en pleine lutte pour les droits civiques des Noirs américains. En 1976, Barbara Kopple revient sur les treize mois de grève des employés d’une petite mine du Kentuky. Harlan County USA, Oscar du meilleur documentaire 1977, expose brutalement la condition faite aux ouvriers américains. En 1990, Michael Moore met les pieds dans le plat de la crise industrielle, à sa manière, forte, avec un premier film remarqué Roger et moi. Le début d'une longue liste de films activistes contre le système américain capitaliste.
Ce sont là quelques uns des films qui seront présentés dans cette sélection de documentaires américains, un pan certes moins glamour de ce grand cinéma, mais autrement fort et créatif. Loin de l'entertainment hollywoodien, de grands cinéastes ont filmé l'envers du décor "de l'usine à rêves" californienne.
Pour autant, il ne s'agissait pas de ne pas rêver. Au contraire! Dès la fin des années 40, toute une génération (contemporains de la beat generation) de jeunes cinéastes américains se saisit des caméras 16mm puis des 16mm/son synchrone pour se lancer dans ce que l'on appellera "le cinéma direct" aux Etats Unis ou "le cinéma vérité" en France. Un nouveau cinéma qui éclôt un peu partout dans le monde, qui rêve d'approcher et de faire surgir la vie, de le transformer aussi, par la politique ou par la poésie.
Une démarche personnelle et artistique qui tranche radicalement avec le système des studios. Aux Etats-Unis, ce sont Richard Leacock, Jonas Mekas, les frères Maysles (Grey gardens) qui, entre autres, lancent le mouvement de ce "nouveau cinéma".
Dans leur sillage indépendant et créatif se glissent des cinéastes expérimentaux (Maya Deren, Andy Warhol...), des cinéastes militants (H.J.Biberman, Lionel Rogosin, Emile de Antonio avec Vietnam année du cochon), des cinéastes photographes (Paul Strand), des cinéastes d'observation (Frederick Wiseman), des cinéastes tout court (John Cassavetes avec Shadows, Martin Scorcese, Shirley Clarke avec The connection...).
"Tout ce qui rompt avec le cinéma conventionnel, mort, officiel, est bon signe. Nous avons besoin de films moins parfaits mais plus libres. Si seulement nos jeunes cinéastes -je n'ai pas d'espoir pour la vieille génération- brisaient, complètement, leurs propres chaînes, sauvagement, anarchiquement! Il n'y a pas d'autres façons de briser les conventions gelées du cinéma que par un dérèglement de tous les sens officiels du cinéma." écrit Jonas Mekas en 1959 dans son Ciné journal. Nombre de cinéastes des décennies suivantes (en 1968 particulièrement) comme ceux d'aujourd'hui sont les héritiers de ce riche mouvement artistique qui a correspondu aux Etats-Unis avec l'explosion musicale du jazz puis du rock (Bob Dylan), d'une littérature non conformiste (Jack Kerouac, Allan Ginsberg, William Burroughs). Citons au passage, Larry Clark (Kids), Ben Russell et bien d'autres cinéastes américains qui pourraient se reconnaître dans ce manifeste artistique de Mekas. En une vingtaine de films, cette septième édition de Corsica.Doc espère offrir un aperçu de la vitalité politique et artistique de quelques grands maîtres du documentaire et du cinéma du réal américains.
En 24 films, un aperçu de l'insolence, de la légèreté, de la liberté de ton du cinéma indépendant américain, des origines à nos jours.
USA, 1914, 67'.
Le chef d'œuvre de Curtis sur les Amérindiens d'Alaska. Un film retrouvé et restauré pour une sortie en salles à la fin du mois de novembre. Le film sera accompagné en direct par le musicien rock Rodolphe Burger.
France, 2013, 9'. En 1955, un professeur d’histoire de Harding University révèle la sainte trinité du capitalisme. Un travail de dentellière anti-capitaliste sur les archives américaines.
USA, 2013, 244. La vie sur le campus californien de Berkeley, de réunions en manifestations. Une réflexion sur la démocratie dans ce dernier film de Frederick Wiseman.
USA, 2008, 115'
Au sud de Los Angeles, s’étend Slab City. Là, sans eau ni électricité, vit une communauté de marginaux venus chercher dans le désert une paix intérieure.
USA, 90', 1969
Le film du mythique concert des Rolling Stones, sous la protection meurtrière des Hell's Angels qui assassinèrent un noir. Un hallucinant document sur la fin des années 60.
USA, 1975, 94'
Le quotidien extravagant de la tante et la cousine de Jackie Kennedy, dans leur villa d'un quartier chic de New York. Un huis clos cruel et burlesque filmé par les Maysles.
USA, 1925, 9'
Le peintre Charles Sheeler et le photographe Paul Strand travaillent ici l'analogie entre ville moderne et cinéma. L'un des premiers films de l'avant-garde américaine.
USA, 1995, 91'
Les aventures sexuelles d'un groupe d'adolescents new-yorkais en quête de jeunes filles vierges... Le premier film de Larry Clark, interdit aux moins de 12 ans.
USA, 1956, 65'
Trois jours dans un quartier pauvre de Manhattan, "The Bowery à travers l'histoire de Ray, débarquant dans ce quartier où il dérive bientôt... L'envers du rêve américain.
USA, 1968, 64'
En 1968, le documentariste américain Emile de Antonio s’interroge sur la validité de l’engagement américain au Vietnam. Des images d’archives, des témoignages ainsi que ses réflexions personnelles lui permettent, bien avant l’heure, de prévoir l’issue du conflit…
USA, 1962, 104'
Huit copains attendent leur dealer dans un loft de Greenwich Village. Pour se faire un peu d’argent, ils ont accepté d’être filmés. En attendant l’héroïne, ils jouent du jazz et se racontent...
USA, 1993, 120'
Poursuivant son journal intime commencé quelques films plus tôt, Ross MacElwee filme ici son mariage, la fausse couche de sa femme, les drames familiaux, la mort de son père...
USA, 1971, 97'
Un jeune "hardeur" noir de Harlem, malencontreusement entre les mains de la police, assiste au tabassage d'un militant pour les droits civiques. C'est le début d'une longue cavale... Ce film inaugure le mouvement de la "blaxploitation". (déconseillé aux moins de 15 ans)
USA, 2009, 100'
Durant l'été 2003, un groupe de bergers à la tête d'un gigantesque troupeau de moutons traverse les montagnes du Montana. Ce sera leur dernière transhumance.
USA, 2013, 104'
Fille de fermiers très religieux, Sara et ses onze frères et sœurs suivent de rigoureux préceptes bibliques. Quand Sara rencontre Colby, un jeune cow-boy adepte de rodéo, elle se trouve confrontée à des doutes d'adolescente...
De Jonas Mekas. Les Mille et Une Nuits de la vraie vie de Jonas Mekas, cinéaste-poète new-yorkais d'origine lituanienne. Le film célèbre la vie, le vin rouge, ses amis... l'art autobiographique.
USA, 1959, 81'
New-York, années 60. Benny, Hugh et Lélia sont frères et sœur et partagent le même appartement. Benny passe ses journées dans les bars, Hugh veut être chanteur de jazz et Lélia écrivain. Tous trois veulent aussi aimer et être aimés...
USA, 1963, 31'. Ce film blasphématoire met en parallèle les exactions d’un gang de Hell’s Angels homos bardés de cuir avec des inserts d’un film sur la vie d'un Jésus de pacotille.
USA, 1989, 255'. Pendant six mois, en 1987 et 1988, caméra à l’épaule, Robert Kramer entreprend un étonnant voyage, le long de la route n°1 qui longe la côte atlantique. L’œuvre phare de l’immense documentariste américain.
France, 1996, 55'. Cinéaste "underground", Shirley Clarke répond en 1970 à Noël Burch, André S. Labarthe, Jacques Rivette et Jean-Jacques Lebel. Une belle leçon de cinéma, de ce cinéma "en marge de l'économie et de l'idéologie dominantes".
USA, 1990, 91'
En 1986, la société General Motors annonce la fermeture de ses usines de Flint. 35 000 travailleurs sont au chômage. Michael Moore part en quête du PDG, Roger Smith. Le premier film du cinéaste-activiste.
USA, 1959, 80'
Brooklyn, années cinquante. A la suite d'une mauvaise blague, le petit Joey s'aventure seul dans le grand parc de Coney Island... Un petit bijou, un film référent pour Godard et Truffaut.
USA, 70', 2013
Le jour, Shermann ramasse des palourdes ; la nuit, il travaille dans une usine vide. Une narration minimale et un personnage exceptionnel, pour un film aussi banal que lyrique et mystérieux.
USA, 2013, 20'
L’île de Tanna, en Mélanésie. D’étranges rites y sont comme une réappropriation de forces occidentales. Le jeune cinéaste y passe avec brio de l'ethnologie à l'expérimental.
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.