90', France
« Non, vous ne rêvez pas : La Cour de Babel, le nouveau documentaire de Julie Bertuccelli, se passe à Paris, en 2013 ; dans une classe d'accueil du collège de la Grange-aux-Belles, dans le 10e arrondissement ; à des années-lumière de ce que l'on raconte sur la France d'aujourd'hui, sa déprime, son pessimisme forcené, ses pulsions xénophobes. Il y a là des adolescents venus de partout, de Pologne, du Mali, de Croatie, de Roumanie, de Biélorussie, de Guinée, du Brésil, du Chili, d'Irlande du Nord, d'Angleterre, de Serbie, de Libye, du Venezuela, du Sri Lanka, d'Ukraine, de Côte d'Ivoire, de Mauritanie, de Chine, du Maroc. Ils suivent les cours de français de leur professeur, Brigitte Cervoni. Allez les voir, allez les écouter. Au bout d'une heure et demie en leur compagnie, vous aurez moins envie de désespérer de l'avenir. »
Franck Nouchi in Le Monde (extrait)
Film sorti en salles en mars 2014.
153', Chine
La vie de trois jeunes soeurs dans un village du Yunnan, en Chine. Les trois fillettes ne vont pas à l'école, et travaillent quotidiennement dans les champs (…) Ce quotidien rude, extrême, Wang Bing le filme sans commentaire, en favorisant l'immersion complète du spectateur. Remarqué en 2004 avec A l'ouest des rails, documentaire-fleuve sur le déclin d'un immense complexe industriel, ce cinéaste continue son étonnant travail d'exploration et de recension de son pays en croisant une forme d'anthropologie sauvage avec du cinéma contemplatif, fondé sur la durée. Passé par la fiction (Le Fossé, sur la déportation dans le désert de Gobi de citoyens suspectés de « dérive droitière »), il revient au documentaire, en regardant ses personnages de face, en les suivant partout, mais sans donner le sentiment d'une quelconque intrusion. Il trouve sa place dans un coin, observe, laisse venir les choses. Et ce qu'il capte est souvent précieux, d'un point de vue tant social qu'esthétique.
Jacques Morice in Télérama (extrait)
Film sorti en salles en avrils 2014.
88', France
De ce vide vertigineux qui peut, à l'écran, séparer les images et la philosophie (ou donner naissance à d'insupportables films à thèse) Michel Gondry s'empare avec une jubilation évidente. Doublée d'une frontalité provocatrice, tant son film se joue du principe même de l'« illustration » : ce drôle de documentaire se compose de dessins souvent naïfs, créés à partir de la discussion entre les deux hommes.
Ce n'est donc pas avec un mode d'emploi sur la « grammaire générative » du linguiste américain, star du MIT (Massachusetts Institute of Technology), que le spectateur ressortira. Il sera plutôt sonné, emporté par le foisonnement créatif d'un cinéaste en liberté, inventeur renouant, au rythme de mille digressions et associations d'idées, avec sa veine mémorielle et onirique, celle d'Eternal Sunshine of the spotless mind et de La Science des rêves.
Juliette Cerf in Télérama (extrait)`
Sorti en salles en avril 2014
93', Italie
Sacro GRA, le nouveau documentaire de Gianfranco Rosi, Lion d'or à la Mostra de Venise 2013, nous emmène ailleurs. Loin des monuments iconiques et des mythologies de la Ville éternelle, le réalisateur d'El Sicario Room 164 (2010) et de Below Sea Level (2008) est parti explorer les pourtours de Rome. Plus exactement, les territoires qui bordent le Grande Raccordo Anulare (GRA en abrégé), le périphérique de Rome (..).Comme chez Fellini, comme chez Pasolini, quelques mythologies romaines se sont donné rendez-vous autour de cet anneau de bitume. Ensemble, elles disent une autre Italie, dont la seule issue semble être une forme de marginalité de survie.
Franck Nouchi in Le Monde (extrait)
Grand prix du festival de Venise 2014-10-15
Sorti en salles en avril 2014
82', France
Le film déroule, l’air de pas y toucher, la liste des préoccupations du métier aujourd’hui : mutation numérique, temps réel, rapport aux réseaux sociaux, à l’audience, proximité avec les personnalités politiques… Et parvient à capter des moments de sincérité, comme Thomas Wieder confiant son désarroi devant les manœuvres de communication du monde politique.
Binômes. Mené sans aucun entretien, juste sur l’ambiance et les échanges, les Gens du Monde saisit au bond l’excitation, l’agacement, la lassitude, la complicité. Il parvient à donner chair au processus d’enquête et de rédaction de l’article en filmant des binômes au travail. Sans trop l’égratigner, le film ne cache pas non plus le cynisme de la profession.
Isabelle Hanne in Libération (extrait)
Hors compétiton à la sélection officielle du festival de Cannes 2014
Sorti en salles en septembre 2014
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.