DIX FILMS DE CINEASTES ALGERIENS QUI INVENTENT UN CINEMA DECOLONISE, EN LIGNE SUR LA PLATE-FORME ALLINDÌ
DU 25 NOVEMBRE AU 25 DECEMBRE
En 2019 le festival Corsica.Doc consacrait son édition à la question des indépendances. Un thème qui résonne aussi dans notre petite île, française depuis 250 ans. La question étant pourtant toujours d’actualité, ici et ailleurs: comment se réapproprier son image, celle de son pays, après et pendant la décolonisation ? Peut-on parler de cinéma algérien, de cinéma cubain, de cinéma africain… avant la libération du joug colonial? Dans l’euphorie libératrice des années soixante, un cinéma du « tiers monde » avait émergé, participant à la reconstruction culturelle et identitaire de ces pays. Après ces premières libérations, durant soixante décennies instables, des cinéastes ont poursuivi, vaille que vaille, ce travail de réappropriation.
En Algérie, la Libération fut symbolisée par le tournage de La bataille d’Alger de Gilllo Pontecorvo en 1965, financé par le nouveau gouvernement algérien. Depuis, quelques films résistant à une fatalité inscrite dans le mythe impérialiste et néo-colonialiste puis à la corruption des nouveaux pouvoirs en place ont pu se glisser dans une production cinématographique de plus en plus malingre.
Depuis les années 2000, par le biais du documentaire, à l’économie modeste sans doute plus adaptée à la situation de l’Algérie, un enthousiasmant regain cinématographique se dessine que nous avons choisi de mettre en valeur parmi ces « films des indépendances ».
En dix films s’esquisse, dans cette escale algérienne, la singularité artistique d’un cinéma né avec les années 2000. A peine sortis du traumatisme d’une terrible guerre civile, pénétrés du poids de l’histoire coloniale et du sentiment de déshérence de la jeunesse de leur pays, de jeunes cinéastes bousculent la représentation de l’histoire récente et passée de l’Algérie, de son peuple, de sa jeunesse. Il s’agit là, ni plus ni moins, encore et encore, d’inventer une culture, une pensée, un cinéma politique, un cinéma décolonisé, c’est-à-dire affranchi du regard de l’ex-colonisateur toujours pesant, mais aussi affranchi du « roman national » officiel contemporain. Il s’agit d’écrire le roman d’un peuple, le « roman algérien » pour reprendre le titre du film de Katia Kameli. Un roman qui s’écrit ici au pluriel, en fouillant les images, en démultipliant les écritures, les regards, les formes poétiques et cinématographiques.
Le geste le plus symbolique de l’aspect politique de cette nouvelle génération de cinéastes est sans doute le film de Malek Bensmaïl qui s’empare en 2017, du film de Gillo Pontecorvo pour en questionner sa place dans l’Histoire de l’Algérie. La bataille d’Alger, un film dans l’Histoire. Un film-enquête qui souligne le rôle propagandiste de ce film à l’époque pour le nouveau pouvoir algérien, et par la suite comme image mythique de la guerre de Libération. Sans oublier, au passage, l’anecdote ahurissante qui veut que Boumédiène se soit servi du tournage en 1965, pour renverser Ben Bella.
Tariq Teguia est, lui, une sorte de figure de proue de ce frémissement artistique avec un premier court métrage en 1998, Ferrailles d’attente, un essai video sur le paysage algérien, en perpétuel chantier. En 2003, il filme, pour La clôture, de jeunes Algérois qui seront des personnages de ses trois longs métrages suivants. Ces jeunes gars, dos au mur, prêts à sauter dans le premier bateau pour l’Europe, sont plus que des figures de la brutalité du néo-colonialisme d’aujourd’hui… ce sont de jeunes fauves au regard crâne malgré le dénuement. Ses trois longs métrages suivants exploseront également la question du territoire en de splendides « fictions cartographiques », thème qui fut celui de sa thèse de philosophie sur le photographe Robert Franck. Explosions des figures, des paysages, des territoires, des images mentales… Tariq Teguia prend le large.
Dans ce sillage radical que l’on a rapproché de Godard ou d’Antonioni, mais surtout dans le contexte difficile qui est celui du cinéma en Algérie, émergent miraculeusement de jeunes cinéastes qui se saisissent de leur territoire et de son histoire récente comme matière filmique. Cinq fragments de ce bouillonnement artistique sont présentés ici. Dont, à noter, des films de femmes. Et, parmi elles, Narimane Mari, qui réalise mais est aussi la productrice de quelques-uns des jeunes cinéastes algériens, dont Djamel Kerkar ou Hassen Ferhani. Pour eux tous, le cinéma documentaire est un outil de recherche artistique. Un outil qui interroge l’Histoire de l’Algérie, celle occultée des années noires (Atlal de Djamel Kerkar), des représentations de cette histoire (le Roman algérien de Katia Kameli), de la guerre de libération nationale (Loubia Hamra de Narimane Mari), du regard d’un exilé (Samir dans la poussière de Mohamed Ouzine).
Ces éléments de l’Histoire algérienne sont, pour chacun de ces cinéastes ancrés dans une Algérie à vif, matière à filmer la libération par la parole dans un pays en guerre, un mouvement social en peine, la fabrique des images, la liberté… Leur rapport complexe mais vital à leur territoire s’exprime par un rapport tout aussi complexe et vital au cinéma. Chaque film témoigne d’une écriture documentaire singulière. Peu de cinéma direct, un travail de mise en scène du réel qui s’effectue parfois en amont dans la préparation du film (Liouba hamra,) ou par une attention dans le tournage à laisser advenir une situation, un personnage (Samir dans la poussière, Atlal, Dans ma tête un rond point…). Ces deux dernières années, surgit aussi l’urgence de rendre compte du hirak, ce soulèvement de tout un peuple, de toute une jeunesse contre un pouvoir corrompu Nadjes A. de Karim Aïnouz).
Le travail de l’image n’en est pas moins remarquable dans la plupart de ces films, qui ouvre sur la lumière, la topographie, le paysage comme des éléments moteurs de la vie et de l’histoire qui se déroulent là. Peut-on pour autant déjà parler d’une nouvelle école algérienne ? « C’est un cinéma qui parle à partir de ce pays. Il œuvre à la reconquête du territoire et à la libération de la parole. ». Voici ce qu’en dit le cinéaste Djamel Kerkar. Un propos qui résonne fortement en écho à un film plus ancien, celui d’Assia Djabar, et qui a toute sa place dans ce programme.
En 1980, la romancière et universitaire réalise la Zerda ou les chants de l’oubli, un magnifique poème cinématographique qui œuvre à la déconstruction d’une image colonisée de son peuple pour en laisser émerger sa profonde vérité et complexité. En prélude du film, Assia Djebar explique: « 1912-1942, trente ans au Maghreb. Dans un Maghreb totalement soumis et réduit au silence, des photographes et des cinéastes ont afflué pour nous prendre en images. La Zerda est cette « fête » moribonde qu’ils prétendent saisir de nous. Malgré leurs images, à partir du hors-champ de leur regard qui fusille, nous avons tenté de faire lever d’autres images, lambeaux d’un quotidien méprisé... Surtout, derrière le voile de cette réalité exposée, se sont réveillées des voix anonymes, recueillies ou re-imaginées, l’âme d’un Maghreb réunifié et de notre passé. » On est alors en 1980.
Annick Peigné-Giuly
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La zerda ou les chants de l'oubli de Assia Djebar (1980, 60')
Poème en quatre chants qui sont autant de tableaux, réalisé à partir d’archives de la colonisation, cet essai d’Assia Djebar s’attelle à un travail de déconstruction de la mise en image du Maghreb colonial, pendant que la bande-son tente de faire lever d’autres images du Maghreb méprisé en (re)donnant la parole aux Maghrébins au moyen de voix anonymes recueillies ou ré-imaginées
Ferrailles d'attente de Tariq Teguia (7', 1998)
Ce film, essai vidéo et photo nous renvoie au chantier permanent qu’est le paysage algérien. Le film se réfère aux constructions jamais terminées, à ces fers d’acier qui bordent les routes algériennes. C'est le premier film de Tariq Teguia.
La clôture (Haçla) de Tariq Teguia (25', 2003)
À travers le cri de jeunes Algérois vivant dans le renoncement, Haçla tente de donner à voir et à entendre, dans le labyrinthe d’impasses que constituent Alger et ses environs, une société bloquée, refermée sur elle-même, où le cadre de la parole devient le seul espace de liberté individuelle.
Loubia hamra de Narimane Mari (80', 2014)
Héros magnifiques d’une guerre sans écriture : pendant que l’armée française mitraille l’OAS, les enfants pillent l’armée française de l’huile, du chocolat, la semoule, ldes haricots... Avec la force imaginative de l’enfance, ce film dit la fin de l’Algérie Française.
Samir dans la poussière de Mohamed Ouzine (61', 2015)
Dans une région aride, Samir vit de la contrebande de pétrole. Il transporte la marchandise à dos de mulet de son village algérien à la frontière marocaine. Filmé par son oncle, Samir dévoile peu à peu ses aspirations, son désir d’une vie différente.
Dans ma tête un rond-point de Hassen Ferhani (90', 2016)
Dans le plus grand abattoir d’Alger, des hommes vivent et travaillent aux rythmes lancinants de leurs tâches et de leurs rêves. L’espoir, l’amertume, l’amour, le football se racontent comme des mélodies de Chaabi et de Raï qui cadencent leur vie et leur monde.
La bataille d'Alger, un film dans l'histoire de Malek Bensmaïl (120', 2017) En 1965, trois ans après l’indépendance de l’Algérie, le cinéaste italien Gillo Pontecorvo entreprend le tournage d’un film reconstituant la bataille d’Alger (1956/1957). Le film sera interdit en France jusqu'en 2003. 50 ans plus tard, Malek Bensmaïl explore comment ce film a nourri l’Histoire et comment l’Histoire l’a nourri.
Atlal de Djamel Kerkar (151', 2018)
Atlal: une discipline poétique qui consiste à se tenir face aux ruines et à faire resurgir sa mémoire, ses souvenirs du visible vers l'invisible. Entre 1991 et 2002, l'Algérie en proie au terrorisme a connu officiellement la perte de 200 000 vies.
Le Roman
algérien de Katia
Kameli
(95', 2016-2019)
Le film se décline en 3 chapitres. La première vidéo est pensée comme une immersion dans l’Histoire algérienne, et dans la mémoire des hommes au travers d’une collection d’images. Le film se déroule rue Larbi Ben M’Hidi, à Alger, où Farouk Azzoug tient un kiosque où il vend de vieilles cartes postales. Autour du kiosque monte la voix des habitants qui expliquent leur lien avec ces images et à l’histoire de leur pays.
Nardjes A. de Karim Aïnouz (80'; 2020)
"Algérie, février 2019. La 5e candidature du président en place Bouteflika entraîne un soulèvement populaire qui se transforme en révolution. Nardjes, jeune Algérienne, rejoint ce mouvement. Tourné le 8 mars 2019, lors de la Journée internationale des droits des femmes, le film dresse son portrait au milieu des milliers de manifestant.e.s dans le centre d'Alger résolu.e.s à renverser un régime qui les a bâillonné.e.s pendant des décennies.
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.