Cette compétition des premiers et deuxièmes films de jeunes cinéastes prend une place de plus en plus importante dans notre programmation. Près de 200 films nous sont envoyés chaque année parmi lesquels un comité de sélection choisit une quinzaine de films. Dix séances seront consacrées à la compétition (courts et longs métrages).
(2015, Belg/Esp, 77’)
Entre les couloirs des serres d’un monde sous plastique, se dessinent de petits bidonvilles où vivent hommes et femmes ayant traversé la mer en quête d’une vie meilleure. Au coeur de cet Eldorado
à bout de souffle, chacun tente de recoller les débris d’un monde semblant à jamais perdu. Les jours s’écoulent au rythme des nouvelles des papiers et du travail qui tarde à venir. Ainsi, le film
nous montre moins le travail que son absence ou son attente. Peu bavard, il se compose de tableaux fixes et d’un minutieux travail sonore propices à ressentir les lieux par l’expérience sensitive
plus que par le propos. Cela confère à la condition de ces esclaves modernes une universalité rappelant que ce qui se joue là pourrait tout aussi bien se jouer ailleurs et dans d’autres temps.
(2015, Cuba/Fr, 75’)
Antoin, Yesuan et Karla sont frères et soeurs. Antoin part à l’autre bout du monde réaliser son rêve : il sera chanteur lyrique. Yesuan et Karla, eux, restent à Cuba. Dans une magnifique
chorégraphie triangulaire, Itziar Leemans et Carlos Mignon dressent un portrait de ces trois personnages, dignes d’une fiction intimiste. Les codes du documentaire s’effacent, les frontières
n’existent plus. Il est des personnages de fiction aussi vrais que des personnage réels. Il est des personnages réels aussi purs que des personnages de fiction. Avec « Parque Lenin », Itziar
Leemans et Carlos Mignon transcendent le genre du documentaire en nous plongeant dans le quotidien d’une fratrie, séparée brutalement comme le sont tant de familles lorsque l’un de leurs
membres cherche à
atteindre son rêve, ailleurs.
(2016, Fr, 30’)
Ce film n’est pas un documentaire sur le travail du peintre Abdelkader Benchamma. Ce n’est pas non plus un film sur l’exposition qu’il fait au Carré Sainte Anne. C’est plutôt un film invitant à
l’immersion au coeur de l’acte de création. Abdelkader est le motif du film, pas le sujet. La caméra vient sonder cet artiste en train de créer, de douter, de faire avec vigueur, de s’extraire,
de regarder, de s’interroger. L’artiste face aux grands murs blanc qu’il couvre pensivement d’encre noire.
(2015, Fr/Madagascar, 52’)
A Tananarive, sur la côte Est de Madagascar, Saholy est gérante d’une petite entreprise de cyclo-pousses. Elle s’occupe de ses conducteurs comme de ses fils, et leur permet de trouver chez elle
un foyer où ils se font materner. Tourmenté par un passé difficile d’enfant maltraité, Njaka cherche sa place au sein de cette grande famille. A 17 ans, il sait qu’il doit décider de son avenir
mais se laisse encore facilement tenter par la fumette et par les filles. C’est dans ce moment de choix que le réalisateur suit les tribulations et les pensées de Njaka sur son cyclo-pousse.
(2016, Autriche/Thaïlande, 88’)
Ko Lipe est une petite île thaïlandaise de la mer d’Andaman, à l’origine habitée par quelques centaines de Chao Leh (« gitans de la mer ») de la tribu Urak Lawoi dont la principale source de
revenus était la pêche. Ces dernières années, le tourisme de masse a débarqué sur l’île –avec tous ses effets positifs et négatifs pour les habitants, leur mode de vie traditionnel et
l’environnement. Le film est un constat de ce développement complexe et irréversible, tout en images, en empathie et un zest d’humour
(2015, UK/Israël, 35’)
Le dispositif est minimaliste : une caméra suspendue juste au-dessus du bac à shampoing d’un salon de coiffure de Haïfa. Pas n’importe quel salon pourtant. Il est tenu par « Fifi », une Arabe chrétienne. La caméra filme sans chef opérateur, la réalisatrice est derrière les protagonistes : c’est elle qui fait la shampouineuse… Sous l’objectif (et sous le casque) défilent des femmes arabes, juives et chrétiennes qui se confient volontiers, entre de petites histoires intimes et la grande histoire qui plombe leur vie. Iris Zaki, jeune cinéaste israélo-britannique, assume son intention première: donner la parole à des femmes arabes – musulmanes ou chrétiennes – pour dénoncer les discriminations dont elles sont victimes en tant que « minorité » de l’État hébreu.
(2016, Fr, 83’)
Un turfiste abonné à la défaite décide de jouer son va-tout en achetant son propre cheval de course. Un ami dépressif se propose pour l’accompagner dans cette aventure de la dernière chance
tandis qu’un coursier moustachu ne tarde pas à dénicher la perle rare. Comme on l’aurait parié, rien ne va se passer comme prévu. La vie, c’est pas du Monopoly. Les comédies documentaires sont
rares, ce film en est une, mais une comédie qui vire amère évidemment. Les deux réalisateurs suivent nos pieds nickelés au plus près de leurs errances burlesques et existentielles. A l’ombre
protectrice et sulfureuse de Charles Bukowski…
(2016, 71')
Alors qu’elle quitte clandestinement la Corée du Nord, Madame B est vendue de force à un paysan chinois par ses passeurs. Pour gagner sa vie en Chine et aider les siens restés en Corée du Nord, elle devient elle-même passeuse, trafiquante. Elle réussit à faire passer sa famille en Corée du Sud et se lance à son tour avec un groupe de clandestins pour enfin vivre auprès de ses enfants… A l’image de ce début déboussolant, le film ne cessera de mettre à mal nos certitudes, de nous amener là où l’on ne s’y attend pas. C’est dans ce maelström géopolitique entre la Corée du Nord, la Chine et la Corée du Sud, fantasme absolu des frontières infranchissables, de la paranoïa ultime, qu’il nous installe pour nous parler de liens humains, de liberté, d’amour.
(2016, UK/Maroc, 79’)
A la frontière marocaine se trouve la ville de Melilla, une enclave espagnole entre l’Afrique et l’Europe. Sur la montagne qui la surplombe, plus de mille migrants africains contemplent la
barrière qui les sépare de « l’Eldorado ». Abou – le filmeur et le filmé – est l’un d’eux. Armé de la petite caméra DV prêtée par les réalisateurs, il témoigne de sa vie quotidienne et de
ses nombreuses tentatives pour sauter la fameuse barrière. C’est le dispositif choisi par lE. Wagner et M. Siebert pour saisir au plus près ce que vivent ces intrépides candidats à l’exil.
Avec les images d’Abou, on passe de l’autre côté. Du côté de ceux qui sont prêts à tout pour atteindre ce qui leur semble être le paradis. Ou pour échapper à la misère… Un autre regard sur une
réalité pourtant ultra médiatisée par les télévisions.
(2015, Allemagne/Cz, 72’)
Le film suit le célèbre photographe d’origine tchèque Joseph Koudelka, parti pour une commande de photographies en Israël. A chaque étape, à l’occasion de ce qui se déroule sous les yeux du
photographe, se dévoile la « méthode Koudelka »: son travail sensible à ce qui se passe et sa perception du monde qu’il documente aussi bien que les gens qu’il rencontre. Le « photo-reporter » de
l’invasion soviétique à Prague choisit de ne filmer que les paysages : à ses yeux ébahis, les images brutales d’un pays tranché par des murs de béton et des fils de fer barbelé. Un dialogue se
tient entre les images du réalisateur et l’action photographique à la fois humble, percutante et géniale de Koudelka.
Emilie Brisavoine a grandi sous un pilône à haute tension dans le sud de la France. Après une adolescence insomniaque passée au côté de Stephen King, elle monte à la capitale étudier les arts appliqués à l’Ecole Duperré. A la suite d’une expérience de designer, elle fait des dessins sur le monde, les femmes et les chiens. Elle apparait dans La Bataille de Solférino de Justine Triet, puis joue dans Peine Perdue d’Arthur Harari. Son premier long métrage, Pauline s'arrache, est sélectionné à l'Acid en 2015 et est sorti au cinéma en décembre dernier. Elle travaille actuellement à son deuxième long-métrage.
Après avoir été critique chorégraphique puis responsable de la rubrique des arts plastiques à Libération, Hervé Gauville a enseigné jusqu’en 2010 les relations entre peinture et cinéma à la Haute École d’Art et de Design (HEAD) de Genève. Il collabore régulièrement à la revue Trafic.
Parmi ses dernières publications, des essais : L’Art depuis 1945, groupes et mouvements (éd. Hazan), Ci-gisent (éd. Impressions nouvelles), Parade (éd. d’une certaine manière) et des romans : Crier gare, L’homme au gant et Pas de deux (éd. Verticales). À paraître en février 2017 : Lancelot du Lac de Robert Bresson (éd. Yellow Now).
Réalisateur et chef-opérateur, diplômé de l’école Louis-Lumière à Paris. Il est l’auteur de deux courts-métrages de fiction : L’Attention (France) et Balcon Atlantico (primé et sélectionné dans de nombreux festivals internationaux). Il a également réalisé une trentaine de documentaires pour différentes chaînes thématiques. Il poursuit en parallèle des activités de production et collabore à la programmation de manifestations cinématographiques, principalement au Maroc et en France.Il est le délégué général du Festival International de Film Documentaire à Agadir (FIDADOC). Depuis 2008, il est également le directeur artistique du Festival International du Film de Femmes de Salé (FIFFS).
Animatrice socioculturelle de formation, Mélanie Manigand est déléguée gérénale de l’association du festival du film de Lama. Elle supervise depuis 2004 le festival du film de Lama. Elle est à l’origine de la manifestation d’éducation à l’image en direction du jeune public Sguardi Zitellini.
En charge des co-productions documentaires et magazines à France 3 Corse ViaStella.
Anastasia Tirroloni (LP Jules Antonini)
Joseph Chiron-Salicetti (lycée Laetitia)
Maxime Meil
Timothy Leoncini
Marion PATRIS DE BREUIL
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.