De 1925 à 1986, Jean Painlevé a tourné plus de deux cents courts métrages dont certains sur les mœurs amoureuses des espèces aquatiques.
Son inventivité technologique s’y allie à son regard poétique et politique pour créer une œuvre proche du surréalisme.
Pour nos ateliers scolaires, le critique Hervé Gauville programme et présente cinq d'entre eux.
ATELIER SCOLAIRE
À cheval entre le muet et le parlant, le cinéma de Jean Painlevé aura traversé le XXe siècle à cheval aussi sur plusieurs registres, du film expérimental au document pédagogique, du court-métrage
d'avant-garde à l'oeuvre de vulgarisation.
C'est d'ailleurs un animal à forme et à nom de cheval qui réunira tous ces enjeux lorsqu'il réalise en 1934 L'Hippocampe, son plus grand succès tant artistique que commercial, dû, entre autres,
aux plans révélant les affres d'un mâle en train d'accoucher.
Quantités d'autres animaux venus, pour la plupart, des fonds marins vont constituer l'extraordinaire bestiaire de ce biologiste soucieux d'explorer des comportements et des moeurs, principalement
sexuels, jusqu'alors laissés à l'écart des recherches sérieuses.
Voilà pourquoi ses films, parfois tournés en trois versions, s'adressent tantôt aux cinéphiles, tantôt aux savants et tantôt au grand public, certains d'entre eux, comme L'Hippocampe justement,
mais aussi La crevette ou La Daphnie, rassemblant l'ensemble des spectateurs.
Davantage qu'un scientifique utilisant la caméra comme outil d'explication, Painlevé, assisté de sa compagne et collaboratrice Geneviève Hamon, s'est passionné pour les inventions
cinématographiques, allant quelquefois jusqu'à en être l'initiateur. Ainsi sera-t-il l'un des premiers, à côté de son ami Jean Vigo, à réaliser des films en plongée sous-marine.
Sa curiosité l'a entraîné bien au-delà des habitants du littoral, vers une étude du mouvement et du rythme à travers des documentaires sur des danses bretonnes ou sa collaboration avec Pierre
Conté, inventeur d'un système de notation chorégraphique.
Adulé des surréalistes dont il se sentait proche, il sera revendiqué, environ un siècle plus tard par le récemment disparu Jean-Luc Godard qui avait déclaré : « La Nouvelle Vague est née de
Painlevé, de Rouch et de Rossellini. À bout de souffle est né de L'Hippocampe de Painlevé, tout autant que de Rome, ville ouverte ». Hervé Gauville
CINQ COURTS METRAGES DE PAINLEVE
Dans le cadre de notre thématique Féminins/Masculins, le critique d’art Hervé Gauville présente un programme de cinq courts métrages les lundi 10 et mardi 11 octobre.
- La crevette et son bopyre (13’, 1961)
- Acera ou le bal des sorcières (12’, 1972)
- Les amours de la pieuvre (13’, 1965)
- La Daphnie (13’, 1929)
- L’hippocampe (15’, 1936)
Lundi 10 octobre de 9h30 à 11h30 au cinéma Laetitia
Mardi 11 octobre de 9h30 à 11h30 à l’Ellipse cinéma
Renseignements au 06 13 21 39 87 ou 06 74 85 45 80.
Inscriptions des classes avant le 1er octobre auprès de Laura Picut : laura.corsicadoc@gmail.com
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.