Vendredi 31 octobre, au cours de la soirée du clôture du 8ème festival international du film documentaire d'Ajaccio, les deux jurys de cette édition ont annoncé les prix de la compétition "Nouveaux talents" 2014.
Le jury CORSICA.DOC/VIA STELLA a décerné le grand prix au film Après nous ne restera que la terre brûlée de la cinéaste belge Delphine Fedoroff. Le prix est doté par la Ville d'Ajaccio (1000€), il sera diffusé sur la chaîne corse Via Stella et projeté à Paris début 2015 au MK2 Quai de Loire). Une mention a été attribuée au film de Lisa Reboulleau, Renée R., lettres retrouvées.
80', Belgique
En avril 1986, l'homme est confronté à l'une des plus grandes catastrophes écologiques : une explosion nucléaire d'une ampleur inégalée. Un village et ses habitants refusent l'intégration dans une zone d'exclusion. Ils persistent à vivre sur leurs terres, à travers leurs rites et leurs histoires. On parle de mort précoce chez les personnes déplacées, de continuité salvatrice chez les "résistants-revenants", les Samossiols. Après 25 ans, quel regard porte cette communauté sur son parcours ? Et qu'en pensent leurs petits enfants ? Quelles sont, actuellement, les raisons de rester ou de partir ? C'est au village de Dytiatky, frontalier de la "zone", avec ces "revenants" et leurs proches que je nous questionne.
19', France
Octobre 1958, une femme perdue dans une ville qu’elle ne connaît pas entame une correspondance avec ses proches sans savoir qu’elle écrit le roman de la dernière année de sa vie. Septembre 2010, dans une malle du grenier de la maison de famille, je retrouve lettres, bobines de film. Je la vois se battre avec courage, sombrer dans la solitude, se relever et tomber de nouveau, mourir enfin. Renée R., héroïne qui meurt d’amour et femme moderne qui s’émancipe, devient le personnage du film de sa vie.
Le jury "jeune public" a décerné le prix du court métrage au film de Jean-Emmanuel Pagni, Banga Palace. Le prix est doté par Axa et Karma Koma (1000€), il sera projeté à Paris début 2015 au MK2 Quai de Loire). Une mention a été attribuée au film de Alexander Liebert, Scars of Cambodia.
52', France, Mayotte
Mayotte, 101 ème département français depuis 2011, traverse une profonde mutation, doublée d’une crise économique, humanitaire et identitaire, bien loin des préoccupations de la métropole … Le Banga témoigne de cette situation. Cet habitat typique autrefois réservé aux jeunes garçons, au moment du passage à l’âge adulte, est désormais le lieu d’errance où se cristalliseny les espoirs de nombre de jeunes mahorais, mais aussi de comoriens à la recherche d’un avenir. «Banga Palace » pénètre l’univers de cette jeunesse entre aspiration, résignation et détermination …
Le jury, présidé par la philosophe Marie-José Mondzain, était composé de Dominique Widemann (critique cinéma au journal L'Humanité), Michèle Don Ignazi (journaliste à France 3 Corse), Arnaud Hée (critique cinéma à Critikat, enseignant à la Femis, sélectionneur au Cinéma du Réel), Nicolas Giuliani (responsable de la collection documentaire des Editions DVD Potemkine).
Le jury, à l'unanimité, décerne le prix CORSICA.DOC à Delphine Fedoroff pour son film Après nous ne restera que la terre brûlée.
Nous avons reconnu par ce choix le vrai courage et le grand talent de la cinéaste. Son film, loin des clichés et images convenues concernant Tchernobyl, témoigne d'une véritable rencontre avec celles et ceux qui, voisins ou habitants de la zone, continuent de vivre et résistent à la mort.
Delphine Fedoroff s'est avancée vers eux, a cheminé avec eux, et partagé leur vie en trouvant toujours sa juste place. Entre l'invisibilité du pire et la nature impalpable d'une dignité bien vivante, son film donne au spectateur une occasion remarquable de déplacer son regard face à la catastrophe de Tchernobyl.
Ce même jury a souhaité, à l'unanimité, accorder une mention spéciale à Lisa Reboulleau pour son film Renée R., lettres retrouvées. Une grande et belle voix nous fait entendre les dernières pages de la vie d'une femme jusqu'à sa disparition. Ce film rigoureux dans la concision déploie toute la puissance poétique et la vibration imaginaire de ce qui fut une vie toute simple devenue pour nous précieuse.
Cinq "professionnels" de l'image ont décerné, cette année, le prix Corsica.Doc/Via Stella. Sans distinction de format (court ou long métrage
Marie-José Mondzain, philosophe, directrice de recherche émérite au CNRS, Institut Marcel Mauss à l’EHESS.
Dirige un séminaire aux Ateliers Varan : Observatoire des images contemporaines. Entre autres publications: Voir ensemble (2001), L’image peut-elle tuer ? (2002), Le commerce des regards (2003), Homo spectator (2007), Qu’est-ce que tu vois ? (2008), Images (à suivre) de la poursuite au cinéma et ailleurs (2011).
Arnaud Hée est critique de cinéma (Etudes, Images documentaires, Bref et critikat.com) ; membre du comité de sélection du festival Cinéma du réel depuis 2010, il enseigne l'analyse et la culture cinématographique à la Fémis et intervient dans les réseaux d'éducation à l'image auprès des professeurs et des élèves.
Nicolas Giuliani est responsable des éditions documentaires de Potemkine Films. Il a créé le Prix Potemkine / Cinéma du Réel en 2012.
Parallèlement il travaille aussi comme réalisateur (entre autres, Les Louves, un court métrage de fiction réalisé en 2014).
Journaliste au quotidien l’Humanité depuis 1989.Elle y travaille à la rubrique « Culture » depuis 1994. Comme critique d’arts plastiques, puis critique de cinéma depuis 2001.
Après dix ans de radio, Michèle Don Ignazi intègre France 3 Corse dans les années 90, produit et anime plusieurs émissions culturelles. Elle a réalisé de nombreux documentaires et présente "Vents du Sud" sur Via stella, consacrée aux documentaires méditerranéens.
Trois étudiants de l'Université de Corte forment, cette année, le jury "jeune public". Ils décerneront un prix à l'un des 9 courts métrages de la compétion "Nouveaux talents".
En créant il y a sept ans, cette compétition « Nouveaux Talents », pour laquelle concourent des premiers et deuxième films, il s’agissait moins pour nous de mettre ces films en concurrence que de créer à Ajaccio un lieu de rencontres pour de jeunes cinéastes et de les aider, certes modestement, à passer le cap du premier film.
La présence d’une dizaine de ces cinéastes avec nous cette année laisse à penser que cet objectif est en partie atteint.
Nous avons reçu environ 180 films cette année, venus d’un peu partout, que nous avons visionnés durant quatre mois. Le choix des 16 élus fut difficile tant la qualité du travail des jeunes cinéastes est remarquable. Nos regards sur les films ne sont évidemment pas les mêmes, mais nous avons choisi d’écouter les engouements des uns et des autres. La programmation fut donc d’un bel éclectisme. Si les sujets tendent presque tous à dresser le portrait de notre société contemporaine, ils le font chacun à leur manière.
Nous avons pu y voir du cinéma direct pur et dur, des ouvrages d’art, des journaux intimes, des dispositifs sophistiqués de mise en scène du réel… autant d’écritures différentes qui recouvrent en grande partie ce qu’est le cinéma documentaire aujourd’hui. Notre principal critère de choix fut que le film recelle déjà la promesse d’une œuvre cinématographique.
LE 18ème CORSICA.DOC: UNE EDITION MAJEURE
Le cinéma est un art jeune, et c’est un regard neuf qu’il porte sur les animaux. Non pas celui qui fut celui de la peinture, empreint de religion, de mysticisme ou de mythologie. Non, c’est un regard profondément troublé que porte les cinéastes sur les « non-humains », prolongeant en cela les interrogations des jeunes philosophes d’aujourd’hui. C’est, modestement, que nous esquisserons cette histoire d’un rapport Homme/Animal par les films choisis ici, en écho aux tableaux du Palais Fesch d’Ajaccio.
Les films de la compétition, eux, ne témoigneront pas moins des graves questions qui traversent notre temps. La guerre, la famille, la vieillesse… les jeunes cinéastes font feu de tout bois pour réaliser de puissants gestes cinématographiques.
Une arche de Noé cinématographique
par Federico Rossin
« Si aujourd’hui nous n’observons plus les animaux, eux n’ont pas cessé de le faire. Ils nous regardent car nous avons, depuis la nuit des temps, vécu en leur compagnie. Ils ont nourri nos rêves, habité nos légendes et donné un sens à nos origines. Ils portent à la fois notre différence et la trace de ce que nous croyons avoir perdu. »
John Berger, Pourquoi regarder les animaux ?
Cette programmation est une traversée à la fois ludique, pensive et visionnaire autour de l'univers des animaux, elle interroge et réactive la relation entre l’homme et l’animal, le lien qui au fil de l’histoire se voit transformé par les nouveaux rapports de production du XX e siècle, réduisant l’animal à l’état de bête avant d’en faire un simple produit de consommation. Mais une nouvelle conscience de la relation entre nous et les animaux commence à émerger depuis quelques années. Et comme toujours le cinéma est un merveilleux miroir pour comprendre notre société par le prisme de son imaginaire et de son esthétique.
Le parcours des séances est une surprenante Arche de Noé cinématographique dans laquelle le public ajaccien pourra faire à la fois une expérience de découverte et de partage. Si Werner Herzog interroge radicalement notre anthropomorphisme dans son Grizzly Man (2005), Frederick Wiseman avec son Zoo (1993) nous plonge dans un microcosme animal reconstruit artificiellement, en miroir ironique et impitoyable de notre société. Barbet Schroeder, dans son Koko, le gorille qui parle (1978), dresse un portrait drôle et terrible de notre fantasme d'omnipotence scientifique et éthique sur le monde animal. Roberto Rossellini a réalisé India (1959) de manière expérimentale : le résultat est une éblouissante tentative de décrire la relation durable et fructueuse entre les hommes et les animaux (éléphants, tigres, singes), à travers une structure à épisodes imprégnée d'une profonde empathie: un film qui nous réconcilie avec la Terre Mère (Matri Bhumi) et nous met au même niveau que tous les êtres vivants.
La distance qui nous sépare des animaux
par Olivia Cooper-Hadjian
Les cinéastes ici cités prennent le parti d’adopter vis-à-vis de l’humain une distance à la mesure de celle qui nous sépare des autres animaux. Les bêtes y conservent tout leur mystère, et nous regagnons une partie du nôtre. Car n’est-il pas étrange d’envoyer des chiens dans l’espace ou d’imbriquer de minuscules insectes dans de grandes machines de pointe pour tenter de percer le secret de leur cognition, et peut-être de leur conscience ?
Si l’exploitation n’est pas absente de ces démarches, ces cinéastes la déjouent par leur geste et rétablissent un lien avec l’animal en se mettant physiquement à sa place : Elsa Kremser et Levin Peter suivent le parcours d’une meute de chiens errants, adoptant leur cadence, dans Space Dogs ; Maud Faivre et Marceau Boré montrent la solitude des insectes scrutés dans Modèle animal. Certains rapports sont plus ambigus, comme le montre Homing, où le dérèglement de l’environnement éveille un effort de réparation par des actes de soin.
Le respect qu’imposent les bêtes se mâtine d’envie, jusqu’à l’absurde : on s’imagine échapper à notre propre condition, en tentant d’imiter leurs talents musicaux dans Langue des oiseaux d’Érik Bullot, ou en s’identifiant à leur pouvoir de séduction dans Los que desean d’Elena López Riera.