LA SOIREE D'OUVERTURE


The Last Hillbilly

Un film de Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe ( 75'France/Qatar,  2020)

 

AVANT-PREMIERE

 

« En trois générations, on est passé de montagnards à gueules noires, puis hillbillies, puis chômeurs… » Debout devant ses enfants alignés devant le feu de bois, comme sous un arbre à palabres, Brian tente de leur faire comprendre d’où ils viennent et pourquoi ils en sont là. Famille en vrac, un père sans travail, un paysage mangé par les mines de charbon, la fermeture des mines, l’ennui qui suinte dans les cours de ferme et un avenir en berne.  C’est ça un hillbilly aujourd’hui, un bouseux, un péquenaud du Kentucky. Et Brian Ritchie l’est, le vit, le revendique, le chante. Cheveux ras, corps sec, regard intérieur, voix incantatoire… il est l’âme et la voix de ce film tourné par Thomas Jenkoe et Diane Sara Bouzgarrou. 

Un voyage aux Etats-Unis a amenés les deux jeunes réalisateurs français jusque dans les monts des Appalaches, à l’Est du Kentucky, où ils ont rencontré Brian. Une sorte de Tom Joad surgi du film de John Ford Les raisins de la colère pour planter ses bretelles dans l’Amérique d’aujourd’hui, celle de Donald Trump, des mines sinistrées, des enfants biberonnés au smartphone. La misère n’est plus ce qu’elle était. La récession n’a plus le même visage ni le même corps. Brian est le chaînon manquant entre cette Amérique blanche rurale du milieu du siècle dernier, celle de la Grande Dépression, et celle qui grandit aujourd’hui avec ses propres enfants. Il porte encore  sur le visage et sur le corps l’ombre de ces hommes vus sur les photos de Dorothea Lange. 

Sur les pas de Brian, le film pénètre dans ce territoire de forêt et d’herbe grasse. En guise de prologue, les images de la mort d’un cerf comme un cauchemar prémonitoire sur fond de ballade country scandant d’une voix rocailleuse l’histoire des Appalachiens blancs qui « prirent cette terre à ceux qui étaient là… ». Une terre qui meurt aujourd’hui de mort lente. « Ainsi va le progrès, mais vers quoi ? ». Sur cette interrogation mélancolique, c’est la voix profonde de Brian qui prend le relais et nous amène tout au long du film à cheminer avec lui vers cette destinée inconnue, inquiétante, d’une terre et de ses hommes. Hillbilly, Brian est aussi et surtout un poète dont la prose est la matière à vif du film.

Mercredi 14 octobre à 20h30 à l’Ellipse cinéma

En présence de la co-réalisatrice

LA SOIREE DE CLOTURE


L'enfant sauvage

 

 

 

Un film de François Truffaut (85', France, 1970)

 

Au moment de sa sortie, les critiques se sont accordés pour voir dans L’Enfant sauvage une réflexion sur ce qui fait l’humanité d’un être. « L’enfant de l’homme est incapable de devenir, à lui tout seul, un être humain », écrit Madeleine Garrigou-Lagrange dans Témoignage chrétien. Elle ajoute : « C’est cette dure et patiente conquête, parcourue d’échecs et de petites – merveilleuses – victoires, de moments sombres et de lumineuses éclaircies, c’est cette conquête par un « sauvage » de son humanité perdue que raconte le très beau film de Truffaut ». C’est aussi une leçon de pédagogie : « L’Enfant sauvage parvient à éviter l’appareil scientifique pour seulement édifier un « suspense » pédagogique sans cesse tissé de compréhension, de patience, d’amour » (La Croix). « C’est bien à la naissance d’un homme que nous assistons ; enfin, l’homme doué de conscience, et qui distingue, sinon entre le bien et le mal, du moins entre le « juste » et « l’injuste » », ajoute Étienne Fuzellier dans le journal L’Éducation. Philippe Bernert conclut dans L’Aurore : « Mais davantage encore que le vrai Itard, Truffaut reste du côté de Victor. Et la plus belle leçon du film, c’est que, finalement, c’est l’enfant sauvage qui éduque son maître ».

Certains critiques nuancent cette thèse en pointant les accents rousseauistes du film : « En filigrane de L’Enfant sauvage, il y a des réminiscences à la Rousseau, une mise en question de notre civilisation prisonnière des murs, une protestation implicite d’une âme sensible contre cette rupture brutale entre la nature et nous… », note Henry Chapier dans Combat. Étienne Fuzellier écrit dans L’Éducation : « [Jean Itard] a connu des moments de doute. Il s’est demandé si, après tout, Victor n’était pas plus heureux dans l’existence végétative d’où il tentait de le faire sortir : et l’on sent ce qu’un tel scrupule doit à Rousseau et aux affirmations péremptoires du Discours sur l’inégalité ». « Ce film n’est d’ailleurs pas seulement l’histoire d’une expérience scientifique et pédagogique fort bien reconstituée. C’est aussi l’histoire du drame scientifique et moral que vit un médecin du XIXème siècle, quelque peu rousseauiste » conclut André Besseges dans La France catholique.

Samedi 17 octobre à 21h00 au Palais des Congrès

Présenté par Richard Copans

LA CARTE BLANCHE A EURODOC


Still recording

 

 

Un film de Saeed Al Batal et Ghiath Ayoub ( 128', Syrie, 2018)

 

Inaugurée en mars 2011, l’insurrection syrienne aura mis longtemps à être désarmée. Ce fut la plus belle et la plus tragique des révolutions, commencée par des chansons, des slogans et des performances tournant le tyran en dérision, continuée par les armes, défaite dans un bain de sang, la faute à la discorde et au cynisme des ­nations. Bilan : six millions de ­Syriens ont quitté le pays, six millions y sont déplacés, cinq cent mille ont trouvé la mort. Et la même dictature y fait de nouveau la loi. 

(...)

S’il manque, en deux heures, de nous faire éprouver la durée exceptionnelle de ce combat harassant, le filml parvient, en revanche, à nous en faire saisir la grandeur collective et la dramaturgie inexorable de l’intérieur. Douma est la ville principale de la Ghouta orientale, qui est elle-même, en un mot, la banlieue est de Damas. Un million de personnes y vivent et y résistent de manière exemplaire depuis qu’en février 2013 l’armée loyaliste en a été chassée. Soit un lieu qui se trouve hors de l’orbite du pouvoir syrien, hors du noyautage de Daech, hors des divisions qui, partout ailleurs, ont affaibli le camp révolutionnaire. Mais un lieu que l’armée d’Assad encercle, pilonne tout le long de la journée, détruit petit à petit sous un déluge de bombes, de missiles et d’obus.

C’est sans doute cela que montre le film, mais pas seulement, pas essentiellement pourrait-on dire. Dans son affolement, dans son désordre, dans sa manière chaotique de juxtaposer les ­contraires, il nous montre plus fondamentalement la vie aux prises avec la mort. Ici, des cadavres en nombre, là de jeunes gens hédonistes qui se réunissent dans un appartement. Ici, la vie tranquille de Damas à une centaine de mètres, là l’amas de ruines depuis lequel les rebelles l’aperçoivent. Ici un cours de cinéma destiné à mieux filmer la guerre, là un jeune sniper qui se convertit à la boulangerie. Ici une performance artistique, là une tentative de lynchage. Le dérisoire côtoie le tragique, le rêve cohabite avec le cauchemar. Still Recording est le film de tous les extrêmes, de tous les antagonismes, non pas réconciliés, mais réunis par séquences, tenus miraculeusement ensemble sur le fil ténu de la peur et de l’incertitude.

Jacques Mandelbaum (extraits, in Le Monde)

 

Dimanche 18 octobre à 21h00 à l'Espace Diamant en présence du co-réalisateur et du caméraman