THEMATIQUE// POLITIQUES

 LES FILMS

A CIEL OUVERT

INES COMPAN

2010

Dans le paysage grandiose des hauts plateaux du Nord Ouest argentin, une bergère est en colère. Depuis quelque temps, elle ne peut plus laisser paître son petit troupeau de lamas sur ses terres sans se faire chasser par un des gardiens de Silver Standard, une société venue du Canada pour réactiver la mine d’argent que l’on devine derrière elle, une mine à ciel ouvert dans un creux de vallée. En une seule séquence, on mesure les enjeux de la lutte inégale qui se mène ici entre les tribus indigènes et la multinationale canadienne. A première vue, dix lamas contre la promesse de quatorze années d’exploitation de l’une des plus grandes mines d’argent du monde. A quelques kilomètres de là, une autre tribu se bat pour l’achèvement de leur école, en construction depuis dix ans… Deux conceptions de la terre s’affrontent là.

AISHEEN

NICOLAS WADIMOFF

APRILE

NANNI MORETTI

L'ART DELICAT DE LA MATRAQUE

JEAN-GABRIEL PERIOT

Jean-Gabriel Périot a réalisé L'art délicat de la matraque, au sein du film collectif « Outrage & Rebellion ». Les films de Jean-Gabriel Périot constituent autant d’essais visuels réalisés à base d’archives filmiques et photographiques. Que ce soit sur l’iconographie du travail (We are winning don’t forget, 2004), sur des images de femmes tondues prises lors de la Libération en 1945 (Eut-elle été criminelle… 2006), sur Hiroschima (200000 fantômes, 2007), le travail de Jean-Gabriel Périot prend pour motifs les conflits civils et militaires, interroge et approfondit le rôle des images populaires dans l’histoire collective. Pour ce film, il explique «Je collectionnais depuis un certain moment les images de répressions policières, avec en tête la possibilité d'en faire un film. Utiliser des archives, revenir à l'histoire, ouvrent de multiples possibilités de narrations et de questionnements. Il ne s'agissait absolument pas de travailler sur des événements révolus.»

CARNET DE NOTES POUR UNE ORESTIE AFRICAINE

PIER PAOLO PASOLINI

1970

Le film commencé alors que Pasolini n’avait pas terminé le superbe Médée (avec Maria Callas), Carnet de notes pour une Orestie africaine est une œuvre cinématographique tout à fait particulière, puisqu’elle se présente sous la forme d’un projet de film, l’adaptation dans l’Afrique moderne de L’Orestie, la trilogie d’Eschyle (que Pasolini a traduite et montée au théâtre en 1959). Or le cinéaste italien sait dès le début de la production que cette supposée fiction ne verra jamais le jour, et donc que ces “notes” sont la version unique et définitive d’un film à part entière. De diverses façons (du free-jazz déchaîné de Gato Barbieri pour exprimer la douleur d’Electre à la reconstitution anthropologique d’une cérémonie des morts à la Jean Rouch, en passant par des images d’archives de la guerre du Biafra), Pier Paolo Pasolini livre en soixante-dix minutes d’un beau noir et blanc un film d’une richesse stupéfiante, plus beau et plus émouvant peut-être que ce que la fiction aurait pu offrir.

CARNETS D'UN COMBATTANT KURDE

STEFANO SAVONA

2006

Dans Carnets d’un combattant kurde, Stefano Savona obtient l’autorisation d’accompagner un mois durant un groupe de combattants (deux garçons et deux filles, NDLR) qui rejoint la ligne de front. Difficile d’anticiper ce qu’il pourra filmer sous la surveillance de son interprète, Akif. Au cours de cette longue marche, la parole se libère –non dans une confidence mais dans une réflexion partagée, entre doutes et convictions, peurs et croyances. Ici, aucun affrontement militaire mais le récit en situation, en paroles, d’un combat pour une liberté. « Ma peur, dit cette combattante kurde, c’est qu’on m’empêche de m’exprimer, de ne pas avoir la force de résister (…) d’être politiquement morte. » Qu’avons nous peur de perdre qui nous pousse à nous battre ou bien nous en empêche ? Au travers de cette question, de film en film, c’est une mémoire politique que Stefano Savona construit.

CLEVELAND CONTRE WALL STREET

JEAN-STEPHANE BRON

2010

Le 11 janvier 2008, le maire de la ville de Cleveland dans l'Ohio, appuyé par un groupe d'avocats, assigne en justice une vingtaine de banques et organismes de prêts hypothécaires de Wall Street, considérés comme responsables des saisies immobilières qui dévastent Cleveland. 100 000 personnes, incapables de rembourser leurs prêts, ont été expulsées. Mais les banques usent de tous les procédés pour faire avorter la procédure et le procès n'aura jamais lieu.Jean-Stéphane Bron, venu pour filmer le procès, décide alors de convaincre un vrai juge d'organiser un procès cinématographique dans des conditions réelles. A la barre du palais de justice défilent les habitants du quartier de Slavic Village, l'un des plus touchés par la crise. L'avocat des familles, Josh Cohen, et Barbara Anderson, militante de la lutte anti-subprimes, y interprètent leur propre rôle. Dans le prétoire, Keith Fisher, idéologue américain de la dérégulation, joue le rôle de défenseur de Wall Street.

LE COCHON

ARNAUD DOMMERC

2010

Durant trois jours, dans les montages corses de l’Alta Rocca, des hommes tuent et charcutent le cochon. Parmi eux une caméra suit avec précision, du début à la fin de cette rituelle « tuée » du cochon, les gestes et les paroles des hommes qui s’activent autour de la bête. On n’est pas dans un abattoir, le hangar donne sur les montagnes enneigées, les cadavres des animaux gisent sur la terre battue, les oiseaux viennent se percher sur les carcasses suspendues. Le sang des bêtes est puisé avec gourmandise. Au moment du charcutage arrivent les femmes. On est passé à l’intérieur de la maison, on confectionne les saucisses, on découpe la viande, on trinque, on parle de choses et d’autres, en corse.Ce qui peut sembler un document brut, parfois brutal sur ce rapport charnel entre hommes et bêtes prend, au fil du film, une tournure méditative. Un personnage étranger est là aussi, parmi eux, qui ne parle pas corse, qui observe, qui parfois partage le vin. Un regard sur eux qui double celui du spectateur. Et quand ce personnage clôt le film par ce même regard pensif, porté cette fois sur les tours gigantesques d’une mégapole, on relit tout le film comme une vision mélancolique sur le cloisonnement des mondes, mais aussi comme une abolition des distances par le regard unique du cinéaste.

LA COUR DES PLAIGNANTS (PETITION)

ZHAO LIANG

ENTRE NOS MAINS

MARIANA OTERO

2010

La première image du film nous montre une main qui maintient une étoffe sous le pied presseur d’une machine coudre. Tout est déjà là. Entre nos mains. Les mains de l’ouvrière et l’outil de travail, de production. Prendre en main son avenir. Créer une entreprise autogérée. Une économie qui ne serait plus au service du capital mais de l’humain.Mise en parallèle avec le processus de création cinématographique. On tourne, on coupe , on monte. Le fil à coudre et la pellicule. Les ouvrières confectionnent de la lingerie fine. Ouvrage collectif qui touche à l’intime. Le film partage des émotions profondément humaines en suivant le cheminement intérieur des personnages avec leurs doutes, leurs craintes, leurs attentes.

FILM SOCIALISME

JEAN-LUC GODARD

 2010

UNE SYMPHONIE EN TROIS MOUVEMENTS

 DES CHOSES COMME çA:En Méditerranée, la croisiète du paquebot.Multiples conversations, multiples langues entre des passagers presque tous en vacances.Un vieil homme ancien criminel de guerre (allemand, français, américain, on ne sait) accompagné de sa petite fille…un célèbre philosophe français (Alain Badiou),Une représentante de la police judiciaire de Moscou,Une chanteuse américaine (Patti Smith),Un vieux politicier français,Une ex-fonctionnaire des Nations Unies,Un ancien agent double,Un ambassadeur de Palestine,…Il est question d’or comme autrefois avec les Argonautes, mais  qui est vu (l’image) est assez différent de ce qui est dit (la parole).NOTRE EUROPE :Le temps d’une nuit, une grande sœur et son petit frère ont convoqué leurs parents devant le tribunalde leur enfance.L’un des parents doit en effet passer à la télévision pour se déclarer candidat lors de l’élection cantonale de… Les enfants demandent des explications sérieuses sur les thèmes de liberté, égalité, fraternité.

NOS HUMANITÉS :Visite de six lieux de vraies/fausses légendes,Egypte, Palestine, Odessa Hellas, Naples et Barcelone.

FIX ME

RAED ANDONI

2010

Raed Andoni a quarante ans, tout comme l’occupation israélienne de la Cisjordanie et souffre d’une migraine tenace. De cette céphalée invalidante, il a œuvré à un film où l’intime entre en résonnance avec le destin collectif de son peuple.Parcourant des paysages éventrés, Raed Andoni mène l’enquête, rassemble ses souvenirs manquants, interroge son thérapeute, ses amis, sa famille, passe les check-points comme un ressassement. Fix me traite de la perméabilité, de la porosité : il montre comment l’histoire des territoires occupés sest insidieusement insinuée dans le corps du cinéaste. En usant de la juxtaposition, de l’opposition, de l’enlacement même de certains plans, le film interroge aussi avec finesse, toute la complexité d’une réalité historique.Par son rythme, sa densité, la beauté des cadres, la musicalité de la bande sonore, le cheminement de sa pensée, Fix me agit comme un antidote à la guerre.(Raphaël Mathié & Aurélia Georges)

GRANDS SOIRS ET PETITS MATINS

WILLIAM KLEIN

1998

Tourné pendant les évènements de mai 1968, mais achevé dix ans plus tard, Grands soirs, petits matins a été découvert lorsque la courte euphorie du mois de mai s’était depuis longtemps estompée, et se regarde aussi aujourd’hui à la lumière de son importance cinématographique. Tourné à l’aide de ces caméras sonores particulièrement souples, en circulation depuis quelques années seulement à l’époque, le film restitue cette impression d’agilité qui semblait donner des ailes aux cinéastes et les enjoignait à redéfinir leur travail en leur permettant de s’immerger dans la rue, et participer de manière concrète à cet élan collectif, du don de matériel à un point de vue modifié sur le rôle même du cinéma.Les séquences captées au cours du mois de mai 1968 sont organisées de manière chronologique à l'aide de brefs intertitres : discussion d'après barricades sur le boulevard Saint-Michel, scènes à la Sorbonne, à l'Odéon, au cours des affrontements avec la police, au stade Charléty, pendant les discours de De Gaulle, dialogue entre ouvriers et étudiants de part et d'autre de l'enceinte de l'usine Citroën, défilé aux accents mêlés de chants révolutionnaires. Grands soirs, petits matins enregistre et reproduit l’élan de ces journées de manifestations au Quartier Latin. Le regard photographique de William Klein a toujours mêlé la tendresse à l’ironie, et les réunions improvisées, où se télescopent les discours de plusieurs personnes pour aboutir à un véritable capharnaüm, lui inspirent la drôlerie, mais aussi l’exaltation : « Tout le monde voulait écouter tout le monde ».

LES HOMMES DEBOUT

JEREMY GRAVAYAT

2010

Histoires fragmentaires, réelles ou imaginées, de trois personnages ayant vécu et travaillé dans un ancien quartier populaire et industriel de Lyon.« Traverser les ruines de l’usine, se souvenir des gestes répétés. Entendre les voix des ouvriers rassemblés dans la cour et le silence des machines arrêtées. Parcourir la ville dans la boue des chantiers, partir à la recherche d’un travail. Frapper la pierre et la brique, regarder les choses lentement s’effondrer. Repérer les lieux, s’y introduire, changer les serrures et raccorder l’électricité. Se rassembler dans la nuit, allumer un feu, construire de nouveaux abris. Raconter toujours la même histoire : celle qui fait tenir les hommes debout.»

ICI-BAS

COMES CHAHBAZIAN

2010

Dans une manifestation, une vieille femme apostrophe le pouvoir. Elle conspue les « usurpateurs » qui l’ont expulsée de son logement et réduite à vivre dans la rue. Dans le bureau d’un ministère, une secrétaire enlève et remet compulsivement ses bagues, se pose du vernis sur les ongles, avant de se remettre à pianoter sur son clavier. Ces deux femmes n’ont pas de visage, juste une bouche éructante pour l’une et des doigts pour l’autre… Une femme élève seule ses enfants dans un taudis, près d’un chantier. Seuls ses deux enfants sont constamment filmés ensemble, mais ils ne cessent de se chamailler. Le monde que filme Ici bas est un monde incomplet, fragmentaire, privé d’une moitié de lui-même et par conséquent chaotique. Ce chaos a un nom, un centre : Erevan, capitale de l’Arménie. Une date : aujourd’hui, vingt ans après la chute de l’empire soviétique. Une cause : la démocratie. Du moins un contresens sur ses valeurs, quand liberté rime avec un individualisme exacerbé, quand la richesse de quelques uns se nourrit de la misère croissante du plus grand nombre. La seule image de cohérence, d’unité de ce film, est une image en noir et blanc, des archives soviétiques montrant les funérailles d’Alexandre Tamanian, l’architecte qui dessina les plans d’Erevan en 1924 – un monde éteint et une tombe. Le nouveau monde, lui, a un visage : celui de ces deux bambins s’entredéchirant. Une guerre fratricide en germe. (Yann Lardeau)

LE JOUR DE LA PREMIERE CLOSE-UP

NANNI MORETTI

1995

Une journée de l'exploitant Moretti alors que sa salle de cinéma à Rome, le Nuovo Sacher, s'apprête à programmer Close-up du cinéaste iranien Abbas Kiarostami (1990). Nanni est angoissé. Nanni se rend en scooter au Nuovo Sacher sur le Trastevere à Rome. Nanni insiste auprès de son assistante Angela pour que la publicité du film dans les journaux soit plus grande. Il discute avec Amleto du contenu des sandwiches. Il discute du grain de la pellicule lors de la séquence du procès. Il insiste auprès de la caissière sur l'importance du film, Il ne s'agit pas d'annoncer seulement "un film iranien" mais un film sur "le pouvoir du cinéma". Nanni vérifie la disposition des livres dans la librairie du cinéma. Nanni contrôle la qualité du son. Nanni se réveille tard dans la nuit. Le répondeur lui communique les chiffres des recettes. Le roi lion caracole en tête des entrées suivi de Quatre mariages et un enterrement et de Little Odessa. Close-up a fait 57 entrées sur les quatre séances avec respectivement 6, 11, 28 et 12 spectateurs. Mais le film a plu et fera peut-être mieux demain.

JOURNAL INTIME

NANNI MORETTI

MOURIR A TRENTE ANS

ROMAIN GOUPIL

1982

 

En mai 68, Romain Goupil filme ses copains dans les manifestations. La disparition de l’un d’entre eux, quelques années plus tard, est le cœur de ce film. Enquête sur la mort d’un ami, sur les illusion perdues. Caméra d’or à Cannes en 1982.

 

NOS LIEUX INTERDITS

LEILA KILANI

2008

En 2004, le Roi du Maroc met en place l’Instance Equité et Réconciliation destinée à enquêter sur la violence d’Etat durant les « années de plomb. » Le film accompagne durant trois années quatre familles dans leur quête d’élucidation. Chacun est mis face à cet impératif soudain : faire remonter les souvenirs, dire ce qui a été muré dans le silence, comprendre les énigmes, saisir le destin des aînés, leur engagement, le sien propre. Faire le deuil des disparus, faire le deuil aussi de sa propre existence ruinée. L’expérience n’épargne aucune douleur, car chaque secret dévoilé ouvre sur un autre, et dans cette chute en cascade, c’est la famille et ses liens, ses légendes provisoires et ses conforts, qui menace de s’effondrer. La possibilité de la parole ne signifie pas sa fluidité, et c’est le cheminement douloureux d’une réappropriation d’un langage enfoui auquel on assiste. Du politique au domestique, entrelacés par force alors, aujourd’hui dénoués sur la place publique, le film montre des destinées dont nulle n’est sauve de l’héritage de l’Histoire.
 (Jean-Pierre Rehm
in Catalogue FID Marseille 2008)

NOUS ETIONS COMMUNISTES

MAHER ABI SAMRA

2010

Des militants de gauche, marxistes ou nationalistes arabes, avaient aspiré pendant la guerre civile libanaise à créer une société non confessionnelle, démocratique, égalitaire, et solidaire de la résistance palestinienne. Maher Abi Samra, le réalisateur, faisait alors partie de ces jeunes gens. La guerre civile s’est achevée par la reprise en main des forces traditionnelles, confessionnelles, des pouvoirs politiques, économiques et sociaux. L’espace public est occupé par le confessionnalisme et dominé par la méfiance et la peur de l’Autre. Se créer une marge en dehors des logiques, mobilisation et propagande confessionnelles est une tâche insurmontable. C’est à ces questions que se confrontent aujourd’hui quelques uns des anciens compagnons de lutte de Maher Abi Samra. Anciens compagnons qu’il a réunis ici pour conserver une trace de ces cheminements personnels dans l’histoire du Liban d’aujourd’hui, du Proche-Orient d’aujourd’hui.

L'ORANGE ET L'HUILE

STEFANO SAVONA

Premiers fragments du projet documentaire de Stefano Savona intitulé Pain de Saint Joseph, dans lequel cent paysans siciliens parlent du jour où ils avaient faim et du jour où ils se sont enfin rassasiés. (…) Ces vieux Siciliens content leur histoire dans des récits d’une étonnante précision : leur grande pauvreté dans les années trente puis leurs révoltes, l’occupation des terres ou de la préfecture, et après-guerre, les massacres de villages communistes par les fascitess. (…) A la fois testament d’une civilisation disparue et moisson tardive d’histoires enfouies, ces témoignages nous dévoilent les passions individuelles derrière la réalité silencieuse de l’exploitation et de la fatigue : dans les mots imprévisibles des protagonistes se dessine l’aventure héroïque de la subsistance. Loin des stéréotypes bucoliques ou de la rhétorique du travail rédempteur, ces récits picaresques à la première personne dévoilent un paysage inédit.

PANDORE

VIRGILE VERNIER

2010

Amorcée avec Flics puis Commissariat (FID 2009), Virgil Vernier poursuit ici son entreprise d’exploration de nos passions. Manifeste de sonobstination d’observateur et de moraliste, l’exergue ici, empruntée à La Bruyère : « La ville est partagée en diverses sociétés, qui sont commeautant de petites républiques, qui ont leurs lois, leurs usages, leur jargon,et leurs mots pour rire. » Au programme de cette sentence fait suite un cadre fixe : extérieur nuit, entrée d’une boite de nuit à Paris. Un « physionomiste» est à l’ouvrage. Il trie, se retire derrière le silence du verdict, argumente quelquefois, distribue, toujours généreux, des sentences. Dieu n’est pas mort, Dieu, c’est lui. Voilà découpé un petit, tout petit, théâtre des passions. L’enjeu, dérisoire, décisif : in ou out. D’où? Du Paradis d’un soir..(NF & JPR, FID Marseille)

POUR UN SEUL DE TES DEUX YEUX

ABRAHAM COHEN

2010

Le 8 juillet 2009, après l’expulsion d’un squatt dans une clinique de Montreuil, la police avait tiré au flash-ball sur les manifestants, en visant les têtes. Un jeune réalisateur de 34 ans, Joachim Gatti, a perdu un œil. L'auteur du tir, un policier appartenant à la brigade anticriminalité (BAC), a été mis en examen.Sur un seul plan séquence, ou presque, balayant des ruines urbaines en Seine Saint Denis, Abraham Cohen a voulu rendre un hommage à Joachim Gatti, Dans ce court métrage, il ne s’agit pas de la commémoration d’un acte héroïque, juste du rappel de cet acte lamentable, disproportionné. Une brève vision de la jungle des villes.

48

SUZANNA DE SUZA DIAS

2009

48 ? Les 48 ans de la dictature de Salazar sur le Portugal et ses colonies. Sur fond de photos anthropométriques de la PIDE, la redoutée police politique du régime, des opposants se souviennent. D’un côté l’histoire cachée de ces photos, de l’autre le face à face du bourreau et de sa victime fixé pour l’éternité. La plupart de ces photos sont neutres, inexpressives. Elles parlent surtout de ce qui ne se voit pas – des bourreaux, de leur fantasme de maîtrise absolue, d’anéantissement de l’autre. Derrière ces images monochromes et monotones, tristes et inertes, des voix, celles de ces mêmes personnes photographiées hier par la Pide et qui se souviennent aujourd’hui, devant nous avec leurs mots, leurs peurs, leurs cicatrices, de leur arrestation, des sévices, des tortures, des humiliations, de la prison. Parfois, les photos manquent. Les fichiers ont été détruits ou perdus. À leur place, des plans immobiles, nocturnes, d’arbres, de clôtures. Ce vide est pire que les clichés anthropométriques. Les portraits témoignent encore d’une présence, d’un passage. Les paysages renvoient à une disparition absolue, sans traces, sans témoins. Derrière les voix, l’ombre des fantômes. Et puis dans cette grisaille sans fin, cette répétition terrifiante, un trou, un éclair. L’exception, l’inimaginable : le rire franc, provocant, d’une jeune fille, cette force et cette inconscience merveilleuse de la jeunesse qui sait que la vie lui appartient, que nul ne peut la lui prendre, un sourire radieux, éblouissant, dont on devine combien il a laissé désarmé l’homme en face, puisque le cliché, si peu dans les normes policières, a été gardé. (Yann Lardeau)

 

LES SENEGALAISES ET LA SENEGAULOISE

ALICE DIOP

2007

« Depuis longtemps, explique Alice Diop, je voulais faire un film sur les femmes africaines, mais je ne savais pas par quel biais. Lors d'un retour au Sénégal, pour l'enterrement de mon père, j'ai été surprise par la dichotomie entre ce que disent les femmes en public et la réalité de leur vie intime, et aussi, les fantasmes que j'avais sur leur vie là-bas. Je suis entrée dans le gynécée de mes cousines. Elles sont ce que j'aurais été si mes parents ne s'étaient pas exilés en France. J'ai vécu en France, je ne suis allée au Sénégal que trois fois, je ne parle pas wolof. J'ai donc regardé ces femmes avec la place qui était la mienne. Avec une distance, une extériorité, et j'espère, pas d'ethnocentrisme. » Munie d’une petite caméra, elle brosse donc ici le portrait de trois femmes de sa famille : Néné et ses deux filles Mouille et Mame Sarr. trois Sénégalaises urbaines. Cette cour, c’est un peu la métaphore du gynécée au Sénégal : un espace cloisonné, exclusivement féminin, « La société sénégalaise est très codifiée, poursuit Alice Diop. La sexualité, le maraboutage, tout le monde le vit, mais ça ne se dit pas publiquement ! L'intimité des femmes est secrète. La manière dont elles s'accommodent de la polygamie, tout cela ne doit pas être dit ! Cela m'a renvoyée à ma naïveté et à mon éloignement culturel ! Mais pour moi, faire que la parole intime devienne publique, c'est aussi la fonction du documentaire. Pour questionner une société, il faut accepter de ne pas avoir le regard bien lisse de la Teranga ! *»

 

* « Teranga » veut dire hospitalité en wolof

SITUATIONS(LA CORSE)

PHILIPPE ALFONSI

1982

Cet été 1982 est un moment historique pour la Corse. Pour la première fois, des représentants de mouvements nationalistes se retrouvent sur les listes électorales aux élections municipales. Dans le même temps, la région corse se retrouve au banc d’essai de la régionalisation. C’est le moment que choisissent les producteurs et réalisateurs du magazine « Situations » pour venir enquêter en Corse. Un magazine de télévision qui, en 1982, était un magazine d’enquête journalistique de très grande qualité, héritier des « Cinq colonnes à la Une » du même Pierre Dumayet, (alors avec Pierre Desgraupes, Igor Barrère), Ce reportage est aujourd’hui un document passionnant sur ces années et ces hommes qui ont fondé alors le paysage politique de la Corse d’aujourd’hui.

LES TROIS GUERRES DE MADELEINE RIFFAUD

PHILIPPE ROSTAN

2010

Madeleine Riffaud est toujours aussi belle et rebelle. A plus de 85 ans, cette grande dame offre à la caméra de Philippe Rostan ce personnage de roman qu’elle incarne sans autre effet que son regard intense sur le monde qui l’entoure. Sa vie (son roman) démarre à l’adolescence. Elle écrit des poèmes, c’est l’Occupation nazie en France. Dès 1941, elle s’engage dans la Résistance. Elle a 17 ans. En 1944, après le massacre d'Oradour-sur-Glane, le mot d'ordre de la Résistance est « à chacun son boche ». En pleine rue, Madeleine abat de deux balles dans la tempe un officier allemand. Elle continue d’écrire : « Neuf balles dans mon chargeur / Pour venger tous mes frères / Ca fait mal de tuer / C'est la première fois / Sept balles dans mon chargeur / C'était si simple / L'homme qui tirait l'autre nuit / C'était moi. » Arrêtée par la Gestapo, elle est torturée, condamnée à mort, puis transférée à la prison de Fresnes. « Sept pas de long / Et puis un mur / Si durs les murs / Et la serrure »... C’est ainsi que commence une longue vie de « fille de guerre », mais aussi de poétesse. Après la Libération, elle devient grand reporter dans la presse communiste, témoin engagé des guerres coloniales de la France. Elle couvrira les conflits d’Indochine, d’Algérie, du Vietnam. Là, elle connaîtra le grand amour de sa vie, un poète vietnamien. Un amour impossible en situation du guerre… Sa vie n’est pas un roman, elle est plusieurs romans, qu’elle a écrit : On l’appelait Rainer, Linges de nuit, et autres poèmes. Une traversée singulière et sensible de l’histoire des luttes de libération de la fin du XXème siècle.

LE FOND DE L'AIR EST ROUGE

CHRIS MARKER

1967-1977 : années capitales de l’histoire mondiale. En 1977, lorsque sort Le Fond de l'air est rouge , Chris. Marker a 56 ans. Le grand documentariste vient de passer trois années entièrement consacrées au travail de ce film somme. En 1967, Marker avait créé le collectif SLON (Société de Lancement des Œuvres Nouvelles) coopérative de cinéastes et d'opérateurs illustrant les conflits sociaux en cours et réalisant des magazines de contre-information », puis le Groupe Medvedkine réunissant des « cinéastes ouvriers » . Pour Le Fond de l'air est rouge, Marker utilise nombre de documents et de rushes issus de ces deux collectifs, qu'il rapproche d'images d'actualité. Marker définit lui-même son travail comme un « montage des attractions » produites par la confrontation des images du passé et du présent, de la fiction et du document, des silences, des sons, des voix off et du commentaire, des témoignages et du direct, de la couleur et du noir et blanc, de l'amitié et des adversités. « … Au cours de ces dix années, dit Chris Marker, un certain nombre d'hommes et de forces (quelquefois plus instinctives qu'organisées) ont tenté de jouer pour leur compte, fût ce en renversant les pièces. Tous ont échoué sur les terrains qu'ils avaient choisis. C'est quand même leur passage qui a le plus profondément transformé les données politiques de notre temps. Ce film ne prétend qu'à mettre en évidence quelques étapes de cette transformation. »

Images officielles, bouts de films, chutes de reportages, bobines négligées sont les matériaux de cette fresque majeur dans la filmographie de Chris Marker et dont le visionnage se clôt sur le déroulant suivant : « les véritables auteurs de ce film sont les innombrables cameramen, preneurs de son, témoins et militants dont le travail s'oppose sans cesse à celui des pouvoirs, qui nous voudraient sans mémoire. »