ATELIER SCOLAIRE: "LE PETIT FUGITIF"

L'atelier propose aux élèves ajacciens une projection du film Le Petit Fugitif, le film culte de Morris Engel, Ruth Orkin et Ray Ashley, tourné à New York en 1953. Comme il est de coutume dans le festival, l'atelier est animé par deux professionnelles du cinéma, Jeanne Gaggini et Mélanie Pavy. Toutes deux réalisatrices, mais aussi respectivement assistante réalisatrice et monteuse de films.

 

Le petit fugitif de Morris Engel, Ruth Orkin et Ray Ashley (USA, 1953, 80')

Brooklyn, années cinquante. La mère de Lennie lui confie la garde de son petit frère Joey car elle doit se rendre au chevet de la grand-mère, malade. Lennie, irrité de devoir emmener son petit frère partout avec lui, décide de lui jouer un tour en simulant un accident. Persuadé d’avoir causé la mort de son frère, Joey s’enfuit à Coney Island, immense plage new-yorkaise …

Mercredi 13, Jeudi 14, Vendredi 15 novembre à 9h30 (Auditorium)

COMMENT SE DEROULE L'ATELIER ?

Nous avons choisi cette année d’étudier dans notre atelier scolaire un film de fiction, car une fois encore, il nous semble important de souligner la perméabilité de ces deux « genres » et la façon dont ils n’ont cessé de se nourrir l’un l’autre. Le Petit Fugitif, de Morris Engel est un film rare et méconnu du grand public mais il a inspiré de nombreux et célèbres cinéastes, dont en France, ceux de la Nouvelle Vague. Engel élabore avec ce film une méthode et un style tout à fait novateur et qui entre autres, se défait des frontières entre fiction et réalité. C’est sous cet angle que nous nous proposerons de l’analyser au cours d’un travail participatif avec les élèves et après la projection du film. Nous aborderons la trame narrative du film elle-même, en cherchant à y déceler avec les élèves, les jeux qu’Engel établit entre le vrai et le faux dans la plupart des rebondissements du film (dès le départ, l’intrigue naît d’un faux semblant, d’un jeu d’enfant). Puis nous nous intéresserons aux moyens techniques employés. Nous verrons comment des dispositifs venant du documentaire et du reportage photo, sont ici mis au service de la fiction. Enfin, nous replacerons Le Petit Fugitif dans l’histoire du cinéma américain et mondial, pour comprendre les traces qu’il a laissé jusqu’à nos jours et que les élèves pourront retrouver dans de nombreux films de la programmation, proposée cette année dans le festival.

Mélanie Pavy & Jeanne Gaggini

 


MELANIE PAVY

Diplômée d’histoire et d’ethnologie, Mélanie Pavy se dirige ensuite vers le cinéma et obtient un master en cinéma documentaire. Elle travaille comme chef-monteuse en documentaire et en fiction et entreprend parallèlement ses propres réalisations. Des films de commande, d'abord, puis des projets plus personnels qu'elle élabore dans le cadre de résidences artistiques, au Portugal et au Brésil. En 2012, elle est pensionnaire de la Villa Kujoyama à Kyoto (Villa Médicis asiatique), et réalise Cendres, son premier long-métrage qui sera prochainement présenté en compétition au Festival International de documentaire d'Amsterdam (IDFA) et aux Entrevues de Belfort.


JEANNE GAGGINI

Après des études en Corse et à Paris dans le domaine des sciences sociales Jeanne Gaggini s'oriente vers le cinema.Elle réalise plusieurs films documentaires "Busqueda Piquetera" programmé dans plusieurs festivals dont Latinita à Ajaccio et cinelatino à Toulouse, "Entre deux rives" (production mouvement / via stella).

Parallèlement depuis plusieurs années elle collabore comme assistante mise en scène et régisseuse pour le cinema.

HISTOIRE DU FILM PAR ALAIN BERGALA / LE CHAINON MANQUANT

Ce film de 1953 était, jusqu'à cette ressortie, le chaînon manquant de l'histoire du cinéma moderne, chaînon fondateur aux États-Unis. (...)

Truffaut a souvent affirmé que sans Le Petit Fugitif, il n'y aurait eu ni les 400 coups ni A bout de souffle. Il faut le prendre au pied de la lettre. Les 400 coups : comme Le Petit Fugitif, le film suit un enfant de milieu modeste dans une fugue et dans ses rêves, sans surplomb de l'auteur ni dramatisation excessive, sur le mode de la chronique. (...) Le film est ouvertement autobiographique comme celui de Morris Engel, qui a été aussi un enfant des rues.

A bout de souffle : Michel Poiccard a tué un policier, il est traqué par la police mais son comportement, libre et sinueux, n'obéit pas vraiment à ce scénario dans lequel il est pris. Dans Le Petit Fugitif, six ans auparavant, un enfant croit avoir tué son frère et part en balade à Coney Island où il oublie son scénario catastrophe et vit sa vie, regarde, joue, découvre l'ouvert du monde.

Ce personnage de Joey est sans doute le premier de ces personnages modernes dont parle Deleuze, détachés du scénario dans lequel ils sont pris, seulement à moitié concerné par ce qui leur arrive. Le film de 1953 ouvre la voie de celui de 1959 en privilégiant l'errance et les moments de grâce, le rapport du personnage au monde réel, en s'émancipant de la pression et de la logique purement dramatiques.

Bien avant Godard, Morris Engel fait le choix radical de travailler avec une petite caméra tenue à la main, avec une équipe réduite à trois-quatre personnes, de tourner dans la rue ou sur la plage sans que les passants s'en aperçoivent. Il a fait spécialement construire dans ce but cette caméra 35 millimètres pour qu'elle ait la taille et la maniabilité d'une caméra 16 millimètres. Godard dans les années 60, se souviendra de la liberté de prise de vues de ce film et tentera d'acheter ce prototype.

Le Petit Fugitif est aussi un maillon fondateur du cinéma indépendant américain et annonce dès 1953 les premiers films de John Cassavettes. Shadows sera tourné en 1959-1960 avec la même liberté de récit, le même affranchissement des contraintes techniques, la même vitalité. Morris Engel, six ans avant Cassavettes, confie les postes techniques à des amis en qui il a confiance et qui croient à ce film improbable, plutôt qu'à des techniciens confirmés. Chacun va apprendre un métier nouveau pour lui en faisant le film. Il en écrit le scénario avec son ami Ray Ashley, qui est, comme lui, photographe de presse. Il s'improvise lui-même cameraman de cinéma. Une autre photographe, Ruth Orkin, qu'il vient juste d'épouser, en deviendra la monteuse.

Le Petit Fugitif, comme Rome, ville ouverte, comme A bout de souffle, fait partie de ces films précaires, hors normes de production, hors normes techniques, hors normes esthétiques, qui ont failli ne jamais exister en tant que films publics, mais qui ont fait bouger radicalement le cinéma. Le Petit Fugitif, refusé à l'époque par tous les distributeurs ayant pignon sur rue aux États-Unis , rencontrera in extremis le distributeur de la dernière chance, un indépendant, Joseph Burstyn, qui avait sorti aux États-Unis les films de Rossellini : Rome, ville ouverte, Païsa et Le Miracle mais aussi le Voleur de bicyclette. Le film sera sélectionné au festival de Venise où il obtiendra un lion d'argent.

Les cahiers du cinéma de ce milieu des années 50, où était en gestation la future Nouvelle Vague, ne s'y sont pas trompés. Une photo du Petit fugitif faisait la couverture du numéro 31 de la revue, où André Bazin lui-même avait écrit un texte de quatre pages sur ce film qui ouvrait le journal critique. Ce numéro est un numéro historique, le plus connu sans doute de la célèbre revue jaune puisque c'est celui où François Truffaut publiait son fameux manifeste "Sur une certaine tendance du cinéma français", qui allait mettre le feu aux poudres du cinéma français et ouvrir la voie à la nouvelle vague. Ce n'était sûrement pas une simple coïncidence.

Alain BERGALA (novembre 2008)

réalisateur, critique, essayiste, enseignant et penseur du cinéma