THEMATIQUE// LA MARGE

 LES FILMS

UN ANGE A DOEL

TIM FASSAERT

En accompagnant la vie quotidienne d’une vieille habitante du village de Doel, le film raconte comment l’expansion du port anversois menace de disparition ce village de Flandre orientale. Doel revient régulièrement à l’avantplan de l’actualité, non seulement parce qu’il abrite l’une des deux centrales nucléaires de Belgique, mais aussi parce qu’il compte au nombre des villages dans les marais du pays de Waas qui devraient être sacrifiés pour faire place à l’expansion du port d’Anvers. L’expropriation des habitants et l’évacuation totale de la localité a été décidée en 1999 par le gouvernement flamand. Divers comités d’action s’y opposent cependant farouchement depuis des années. Le cinéaste a suivi le destin d’Emilienne qui essaie de continuer à vivre au milieu de son village mourant. Emilienne n’est pas une activiste, c’est une vieille femme douce mais tenace qui ne voit pas pourquoi elle quitterait sa maison et s’éloignerait de la tombe de son mari. Chronique d’une résistance tranquille et têtue contre les bulldozers de la barbarie économique. Ce film fut en compétition internationale au IXe Festival international de cinéma Doclisboa, sélectionné au Festival du film de Berlin, aux RIDM de Montréal, aux Etats généraux de Lussas.

THE BALLAD OF GENESIS & LADY JAYE

MARIE LOSIER

Dans les années cinquante, Neil Andrew Megson est ce garçon brun à la raie bien droite qu’on voit sur la photo noir et blanc. En 70, on le retrouve, le cheveu ras, père de deux petites filles. Aujourd’hui, il est Genesis O-Porridge, créature en perruque blonde et lèvres pulpeuses obligées, exhibant tendrement ses nichons. Fils d’un fou de jazz et héritier volontaire de la beat génération, le joli garçon britannique a endossé, duran plus de quarante ans, les figures les plus radicales de l’underground artistique, des années soixante à aujourd’hui. A soixante ans, il entasse son passé dans des tiroirs de photographies, de pellicules 16mm, dans des rangées de vinyl ou de livres qui remplissent son grenier. Rien de nostalgique chez lui. Tout cela est vivant. Et lui s’agite toujours comme un beau diable de provocateur qu’il n’a jamais cessé d’être. Jusqu’à sa rencontre avec lady Jaye, la deuxième femme de sa vie qu’il rencontre dans le donjon d’une dominatrice.

LA BRUTE REVIENT AU PAYS NATAL

JSHOHEI IMAMURA

1973

Trois ans après le tournage de Ces soldats qui ne sont pas revenus, Imamura invite l’un des protagonistes,
Fujita, installé en Thaïlande, à retourner au Japon. Micro au poing, une caméra pas loin, le réalisateur le suit dans ses retrouvailles avec le Japon, la famille. Fujita, c’est « l’impérialiste pur et dur ». C’est aussi « l’oublié », déclaré mort par l’armée. Un mort qui se rebiffe face au grand frère profiteur. Imamura accompagne cet incroyable voyage de Fujita, curieux des méandres de l’âme humaine, passionné de l’incarnation ici violente de l’Histoire du Japon de l’après-guerre.

CADENZA D'INGANNO

LEONARDO DI COSTANZO

2011

En 2003, le réalisateur filme des enfants de son quartier de Palerme. Parmi eux, Antonio. Un gamin de 12 ans dont la personnalité concentre vite toute l’attention du filmeur. Commencé comme un film social sur des gamins des rues, le tournage s’arrête soudain parce que l’enfant ne veut plus être filmé. Sous-titré Récit d’une rencontre interrompue, Cadenza d’Inganno donne à lire l’histoire d’une relation cinématographique, d’un lien suspendu entre un filmeur et un filmé. Le joli coup de théâtre venant du filmé lui-même qui décide près de dix ans plus tard que le film peut continuer. Et qui décide également du scénario. Le filmeur alors joue le jeu

CECI N'EST PAS UN FILM

JAFAR PANAHI

2011

Sous le coup d’une condamnation de l’Etat iranien, Panahi, reclus entre les murs de son appartement, fait de sa situation le sujet même de son film : que reste-t-il à un cinéaste qui n’a plus le droit de filmer et qui attend qu’on le jette incessamment  en prison ? Une vaste gamme de réponses fournit la matière du film, qui chronique, à la façon d’Oblomov, une journée de la vie de Jafar Panahi. Prendre le petit-déjeuner. Téléphoner à son avocate. Faire des plans de l’appartement vide. Tourner en rond. Puis demander à Mojbata Mirtahmasb, un ami documentariste, de venir le filmer chez lui, pour lire quelques extraits d’un scénario censuré : l’histoire d’une jeune fille cloîtrée dans son appartement par ses parents. Prendre au pied de la lettre l’interdiction de tourner pour mieux la détourner et mettre en scène, à l’aide de ruban adhésif en guise de marques au sol, les premiers plans imaginaires de ce film avorté. Puis constater, rageusement, que cela ne sert à rien. Se raccrocher alors aux écrans de l’ordinateur, de la télé et du téléphone portable, ou méditer en compagnie d’un iguane prénommé Iggy, qui promène sa punkitude dans l’appartement. En un mot, filmer le désoeuvrement, l’angoisse, et en même temps l’extraordinaire refus de la résignation qui les accompagne par le simple fait de les filmer.

DIANE WELLINGTON

ARNAUD DES PALLIERES

2010

Quelque part dans le Dakota du Sud, une adolescente a disparu. C’était dans les années 30, elle était la fille des riches propriétaires de la ville. Toutes les filles de son lycée ont longtemps pensé sa disparition comme un rêve d’ailleurs. Et des années plus tard, on la retrouve. Le cinéaste s’empare de ce fait divers passé et l’écrit comme une nouvelle mélancolique, une sorte de conte pour jeune fille sans destin. Sur un fond d’images d’archives en noir et blanc prises sur le vif dans l’Amérique de ces années-là, un commentaire lapidaire écrit l’histoire sur des cartons qui défilent lentement. Quelques notes de piano rythment le récit comme une chanson triste. Une sobriété qui semble retenir un flot de bruit et de fureur. La petite musique distillée pourrait être l’ébauche d’une passion, la nouvelle, celle d’un grand roman. L’image anonyme de l’adolescente lumineuse et grave qui ouvre le film semble une image mentale, de celles qui déclenchent les grandes machines romanesques. (APG)

DISNEYLAND, MON VIEUX PAYS NATAL

ARNAUD DES PALLIERES

2001

Disneyland, mon vieux pays natal, comme ses autres films, puise dans la matière propre au documentaire et dans le commentaire d’une situation (elle-même traversée de citations et d’emprunts plus ou moins révélés ou détournés), déplace le récit dans le champ de la fiction et, par le détour de la fable, entend libérer une “puissance de vérité”. Une méthode de travail que résume Jean-Pierre Rehm : “Jouer ainsi  la fiction d’un réel reconstruit contre l’effet de croyance induit par le documentaire, flanqué de son insupportable cortège d’alibis frelatés (...), la construction de l’après-coup contre le supposé vrai du live”. Arnaud des Pallières donc, au pays de Mickey, adopte les conditions d’un visiteur ordinaire : il s’immerge pareillement dans “l’univers du merveilleux”, rencontre ses semblables, teste les mêmes attractions. Il prend acte des différentes situations proposées, n’aborde pas ses personnages sous l’angle de la caricature ou du burlesque, et multiplie les séquences pour considérer Disneyland, sans ironie, dans sa globalité et sa complexité (monde du spectacle, du travail, du souvenir, du mythe de l’enfance, du rêve et de son aliénation...).(extrait d’un article de Claire Jacquet, Trouble)

D.O.A

LECH KOWALSKI

1980

On y découvre, outre les live hystériques des Pistols menés par un Johnny Rotten au regard halluciné, les frémissements d’un mouvement mort-né, pris entre la fin des idéologies hippies et le cynisme consumériste des années 80. «Pour moi, le punk symbolisait la dernière vision idéaliste du monde, confie Lech. Une vision romantique et belle d’un monde en guerre. Oui, c’était une guerre, chargée d’énergie, qui dénonçait le système capitaliste vers lequel on se dirigeait. La tournée des Sex Pistols elle-même avait été planifiée par Malcom McLaren comme une véritable invasion, qui prenait d’assaut le ventre mou de l’Amérique profonde. New York avait été soigneusement évité. Too big ! En fait, la tournée était au départ prévue pour les New York Dolls. Le groupe commençait à battre de l’aile, et McLaren voulait ressouder tout ça. Mais Johnny Thunders et Jerry Nolan étaient défoncés du soir au matin. Un jour, ils ont tout plaqué et sont rentrés à New York... Alors McLaren est retourné en Angleterre. C’est comme ça qu’il a eu l’idée de refourguer la tournée aux Sex Pistols.» Accompagnant le groupe de ville en ville, l’image tremblée et sale, soulignée par une bande-son impressionnante (The Clash, Sham 69, Dead Boys...), nous fait pénétrer dans l’intimité du groupe et de ses fans imbibés d’alcool. Il y a surtout cette scène dans une chambre d’hôtel, où Sid Vicious et Nancy Spungen, complètement défoncés, gisent sur le lit dans un état de délabrement qui semble annoncer la fin tragique du couple quelques années plus tard. (Nathalie Dray / Les inrockuptibles, 2004)

EN SUIVANT CES SOLDATS QUI NE SONT PAS REVENUS

SHOHEI IMAMURA

1971

Près de trente ans après la fin de la seconde guerre mondiale, nombre de soldats japonais, laissés pour compte par le Japon, restent là où les a amenés la guerre. Trois d’entre eux, restés en Thaïlande, sont les protagonistes de cet étonnant documentaire d’Imamura. Mélange de cinéma direct et de mise en scène, le film réunit ces trois anciens soldats qui ont refait leur vie qui dans l’agriculture, qui dans la médecine. Ecrit à grands traits de commentaires à la première personne, d’interviews sur le vif et de mises en situation provoquées par le réalisateur, le film avance nerveusement dans les replis des destins de ces soldats perdus. Trois incarnations dérisoires et tragiques de ce que fut l’impérialisme japonais que Shohei Imamura observe et agite, sans jugement. Juste une intense curiosité.

GIGI, MONICA & BIANCA

BENOIT DEVRAUX & YASMINA ABDELLAOU

1996

Deux enfants des rues, Gigi et Monica, s’aiment. Ils vivent en bande dans la Gare du Nord de Bucarest. Ils survivent plutôt, au jour le jour, de petits travaux aux maigres profits. Ils s’accomodent d’un quotidien fait d’insécurité, de marginalité et jouissent, avec l’insouciance de la jeunesse, de leur liberté. Monica apprend qu’elle attend un enfant et leur existence déjà si précaire est bouleversée. Gigi retourne à la campagne chez sa mère et lui demande de les accueillir. Ils s’installent dans la petite maison au milieu des champs, confiants, malgré la cohabitation avec le beau-père qui déjà a provoqué des drames et les effraie tous deux. Le rêve de Gigi est de quitter la rue, de trouver un toit, de fonder une vraie famille. Monica retournera à la ville pour accoucher et mettre au monde une petite Bianca. Ces parents-enfants pourront-ils assumer longtemps cet acte de confiance dans la vie ?

LES IDOLES

MARC'O

1968

En 1966, une troupe de café-théâtre emmenée par Marc’O joue la pièce Les Idoles, une satire du showbiz qui fait un tabac à Paris. Marc’O adapte alors sa pièce au cinéma. Le film sort en juin 1968. Un film mythique, et diablement visionnaire. Comment en effet ne pas penser à Popstars et autres Star Academy, en suivant l’histoire édifiante des trois idoles de la génération yé-yé : Gigi la folle (Bulle Ogier qui débute à l’écran), Charlie le Surineur (Pierre Clémenti, aussi sublime que Bulle) et Simon Le Mage (Jean-Pierre Kalfon parfait en idole platine). Des impresarii cyniques tentent de rentabiliser leurs stars à coup de «recettes» plus ou moins énormes, mais lors d’une interview, les trois idoles se sabordent en public... Comédie musicale psychédélique, satire implacable et provocatrice, Les Idoles est un film incroyablement contemporain. Le film est ressorti en salles en 2004.

JOHN CASSAVETES

ANDRE S . LABARTHE

1969-1998

Le film « Lorsque nous le rencontrons, John Cassavetes est déjà l’auteur de trois films, Shadows, film indépendant réalisé à New York, puis Too Late Blues et A Child is Waiting, deux expériences hollywoodiennes qu’il juge désastreuses. Il vient de terminer le tournage de Faces dont le montage durera trois ans. C’est le film de la naissance d’un cinéaste que nous proposons. Trois ans plus tard, Faces est terminé et John Cassavetes fait une escale à Paris, en route pour le Festival de Venise. Ce n’est plus le même homme qui s’exprime, mais un homme mûri, qui se retourne sur lui-même et tire les leçons de son expérience. Un homme qui raconte l’Amérique, l’entreprise de Shadows – film de l’adolescence et de l’espoir – et celle de Faces – le film de l’âge mûr et du désenchantement. » (André S. Labarthe)

LA MORT DANTON

ALICE DIOP

Alice Diop a choisi de suivre le parcours de Steve. Un grand gaillard, noir et baraqué, issu de la cité des 3000 à Aulnay sous Bois, en Seine Saint Denis. « Paraît que je fais peur… » Pourtant Steve est un garçon fragile. Steve n’est pas le héros d’une série policière sur TF1, depuis trois ans Steve est élève du cours Simon à Paris. Et c’est là le dilemme de Steve : la cité des 3000 et le cours Simon. En suivant le chemin qu’il parcourt régulièrement, de la cour de sa cité à l’école de théâtre, Alice Diop met en images la distance sociale que Steve franchit. Aulnay-Paris. Au check-point qui sépare la banlieue de Paris, Steve laisse une part de lui-même. « Des fois je me sens pas à ma place… on n’est pas pareils, on n’est pas dans le même monde ». Dans les cours, Steve semble embarrassé de sa carrure de banlieusard. Sur scène, on le cantonne aux rôles de noirs (de « blacks », ils disent). Paris-Aulnay. Le retour dans la cité, n’est pas plus facile. Il n’a pas réussi à dire à ses potes qu’il fait du théâtre. En une seule séquence, finale, Alice Diop nous fait saisir de quoi il parle et pourquoi il est là. Dans la cour de sa cité, face à la caméra, Steve est Danton, figure tragique de la pièce de Büchner. Et les mots du discours de 1794 font frissonner les murs de béton : « Nous avons mis fin au monopole de la naissance Nous avons mis fin au monopole de la fortune… Ce souffle pour tous les hommes, Cette soif de liberté, personne ne pourra l’étouffer. »

NANNI MORETTI

ANDRE S. LABARTHE

1990

Nanni Moretti en Sicile, sur les lieux de tournage de Palombella Rossa, puis traqué à Rome, dans sa salle de montage. Nanni Moretti avec ses phobies, ses fantasmes, son humeur massacrante et son extraordinaire vitalité. « Dès le générique, écrit Frédéric Bonnaud dans les Inrockuptibles en 1995, on sait que cet épisode sera réussi car Labarthe a déjà trouvé un nouveau truc : les noms défilent sur les pâtisseries tant prisées par le sauveur-à-lui-tout-seul-du-cinéma-italien. Mais pour autant, on aurait tort d’attendre un film sucré de la rencontre entre André S. Labarthe et Nanni Moretti. L’acidité du regard va se charger de dissoudre les graisses superflues. »

OU GIT VOTRE SOURIRE ENFOUI ?

PEDRO COSTA

2001

D’un côté, Pedro Costa, talentueux réalisateur portugais. De l’autre, Danièle Huillet et Jean- Marie Straub, atypique et brillant couple de cinéastes (Chronique d’Anna Magdalena Bach, Moïse et Aaron...). L’un derrière la caméra et les deux autres, exceptionnellement, devant. Devant la caméra mais souvent de dos, car c’est devant leur image, lors du montage de la troisième version de Sicilia !, que Pedro Costa les filme. Une mise en perspective qui ne s’inscrit pas tout de suite à l’écran. Apparaît d’abord une image de leur film : un plan du début de Sicilia !, obsessionnellement repassé à la table de montage par Danièle Huillet, aux commandes d’une opération d’une grande précision. La fixité des plans (marque stylistique de Costa) se fait le prolongement visuel et temporel de leur rigueur et de leur patience. S’inscrit dans le cadre un autre point d’attention que le moniteur : Straub, dans l’ouverture de la porte, fait son show. Les deux formes d’écran voisinent et, dans cette chambre noire, décor familier au réalisateur portugais, se dessinent un très beau plan de travail et un superbe portrait de cinéastes.

PALAZZO DELLE AQUILLE

STEFANO SAVONA

2011

La première scène est digne du tableau de David. Au centre de la salle, sous les lustres de cristal, un cercle d’élus municipaux s’écharpent sur la crise du logement. L’opposition monte au créneau, demande des explications sur les biens immobiliers confisqués à la mafia locale. Sur les gradins au fond de la salle, le peuple. Dix-huit familles au grand complet, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, nourrissons sur les bras, gamins qui s’agitent dans les travées. Nous ne sommes pas au Jeu de Paume en 1789, nous sommes en 2010 au siège de la mairie de Palerme. Le ton monte du côté des familles. Les femmes apostrophent les élus « Nous voulons une maison ! ». Le centre de la scène se déplace vers les gradins. Les élus s’effacent. Le peuple envahit le haut-lieu de la démocratie municipale. Les caméras brossent le tableau en d’ébouriffants plans séquences. La lutte durera trois semaines. Trois semaines durant lesquelles Stefano Savona, Alessio Porto et Ester Sparatore filmeront, jours et nuits. Du côté des familles, toujours. Le décor (le Palazzo, noble théâtre de la démocratie), le temps (les trois semaines de lutte), la dramaturgie (l’organisation de l’occupation, les joutes avec le pouvoir local, les faux espoirs, les vraies trahisons, les manipulations et la fin de la lutte), les personnages (les familles truculentes, les deux élus utopistes, le maire beau gosse manipulateur…), tout cela contribue à faire de ce film une formidable fresque sur l’exercice splendide et douloureux de la démocratie directe.

LE PLEIN PAYS

ANTOINE BOUTET

2009

Quelque part dans le Lot vit un homme menant une existence peu ordinaire. Jean-Marie Massou récuse les termes d’artiste, d’ermite, d’homme des bois qui pourraient le dépeindre. Comment parler de ce Sisyphe, cette incarnation d’un personnage de Beckett, qui s’est mis en marge de la société et dont les faits et gestes trahissent une quête existentielle, cette sorte de Facteur Cheval que l’on voit s’obstiner à déterrer d’énormes pierres, les charrier à mains nues et les poser ailleurs ? Pour le plasticien Antoine Boutet qui l’a filmé avec une sorte de fascination, Jean-Marie exécute loin du monde social une oeuvre artistique, et c’est la portée de cette oeuvre qui interpelle. Il agit dans l’isolement, dans un geste de résistance au monde extérieur, aux confins de la folie. Comme pour lutter à la fois contre un univers qu’il voit foncer vers le chaos, et contre sa propre résignation. Depuis 40 ans, Jean-Marie creuse sous terre, construit des galeries dans lesquelles il se faufile à plat ventre, fabrique des grottes artificielles sur les parois desquelles il grave des motifs, des dessins primitifs, un cerf, une chauve-souris. (extrait d’un article de Jean-Luc Douin, Le Monde 02/11/2010

LE QUATTRO VOLTE

MICHAELANGELO FRAMMARTINO

2010

Un vieux berger vit ses derniers jours dans un paisible village médiéval perché dans les montagnes de Calabre, à l’extrême sud de l’Italie. Il conduit ses chèvres sous des cieux désertés depuis longtemps par les villageois. Il est malade, et croit trouver un remède dans la poussière qu’il ramasse sur le sol de l’église, et qu’il boit chaque jour dans de l’eau. Un chevreau vient de naître. Nous suivons ses premiers pas, ses premiers jeux, jusqu’à ce qu’il prenne des forces et aille au pâturage. A côté, un sapin majestueux remue dans la brise de la montagne et change lentement au gré des saisons. Le Quattro Volte est une vision poétique des cycles de la vie et de la nature et des traditions demeurées intactes d’un lieu hors du temps. Michelangelo Frammartino s’intéresse très vite à ce qui au départ n’est qu’un décor : l’arrière-plan. Le point de vue, déplacé, donne au spectateur toute la liberté de participer à l’aventure cinématographique. Le film est un objet suspendu d’une grâce inouïe, qui nous rappelle sans cesse que l’homme n’est pas le seul être vivant sur Terre. (Le film était sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2010)

TAHRIR

STEFANO SAVONA

2011

Le Caire, février 2011. Elsayed, Noha, Ahmed sont de jeunes Égyptiens et ils sont en train de faire la révolution. Ils occupent la Place jour et nuit, ils parlent, crient, chantent avec d’autres milliers d’Égyptiens tout ce qu’ils n’ont pas pu dire à voix haute jusque-là. Les répressions sanguinaires du régime attisent la révolte ; à Tahrir on résiste, on apprend à discuter et à lancer des pierres, à inventer des slogans et à soigner les blessés, à défier l’armée et à préserver le territoire conquis : un espace de liberté où l’on s’enivre de mots. Tahrir est un film écrit par les visages, les mains, les voix de ceux qui ont vécu ces journées sur la Place. C’est une chronique au jour le jour de la révolution, aux côtés de ses protagonistes.

LA TARANTA

GIANFRANCO MONGOZZI

1962

L’été 1961, Gianfranco Mingozzi se rendit à Galatina, dans les Pouilles, en compagnie de l’opérateur Ugo Piccone, pour y filmer les possédées de la tarentule, enregistrant le traitement domiciliaire du mal par la musique et le pèlerinage des tarentulées à la chapelle de Saint Paul, le 28 et le 29 juin. La démarche du cinéaste reposait sur La Terre du remords, une étude qu’allait publier Ernesto De Martino après une campagne ethnographique pluridisciplinaire menée dans le Salento. Y avait participé notamment l’ethnomusicologue Diego Carpitella, dont les enregistrements figurent dans le montage de La Taranta. Pour le commentaire, Mingozzi s’adressa au poète Salvatore Quasimodo, qui avait reçu le prix Nobel de littérature en 1959. L’écrivain composa un texte qui répercute sa dense formulation sur les images inoubliables de Piccone, dans une lecture du phénomène inspirée par les analyses de De Martino.

TERRITOIRE PERDU

PIERRES-YVES VANDEWEERD

2011

160 000 Sahraouis nomades vivent aujourd’hui dans des camps des réfugiés, puisque le territoire qu’ils revendiquent est occupé actuellement par le Maroc. Et ce, malgré une décision de la Court Internationale de Justice. Un cessezle- feu a été instauré en 1991, évitant les hostilités, mais empêchant également toute nouvelle discussion sur la distribution de terres entre les parties concernées. Territoire Perdu constitue le dernier volet d’une trilogie documentaire ancrée sur la réalité africaine et sur une «poétique de l’humain», selon Jacqueline Aubenas (spécialiste et enseignante belge de cinéma). Les deux premiers volets sont, respectivement, Le cercle des noyés (2007) et Les dormants (2008). En reprenant la division de Julien Gracq, Pierre-Yves Vandeweerd veut rompre avec l’idée selon laquelle «il y a deux manières de regarder : à la façon du presbyte qui se met à distance pour regarder ou à la façon du myope qui doit se rapprocher pour voir plus clairement». Le cinéaste souhaite que Territoire Perdu s’inscrive entre ces deux regards, dans la relation dynamique qui unit les Sahraouis au territoire qui les entoure

VIOLIN PHASE

ERIC PAUWELS

1985

Le travail de la danse préexiste au film. Sur une musique répétitive de Steve Reich (une de ses premières composition Violin Phase), la jeune chorégraphe et danseuse Anne Teresa de Keersmaeker travaille son solo, tournoyant sur elle même à la manière des derviches. La chorégraphie n’est pas encore là. Elle cherche le geste en dansant. La caméra la suit. Et soudain est emportée. Le solo devient duo, danse et caméra. Prise dans le cercle musical et chorégraphique, la caméra entre dans la transe. Le solo devient trio. Quatre prises ininterrompues : pendant que la danseuse tourbillonne sans arrêt, le cinéaste recharge sa cassette super-8. Un moment de grâce entre la danseuse, le violon et le cameraman.

L'HYPOTHESE DU MOKELE-MBEMBE

MARIE VIOGNIER

2011

Avec Hinterland (FID 2009), tourné en Allemagne de l’Est, Marie Voignier nous a rendu familiers ces espaces aux strates multiples, où épaisseurs de l’Histoire, enjeux du présent et imaginaire ne peuvent être distingués. L’hypothèse du Mokélé- Mbembé creuse pareil sillon pour nous emmener cette fois loin de l’Europe vers d’autres territoires, au Sud-Est du Cameroun, et vers d’autres pans de l’Histoire. Là, depuis plusieurs années, Michel Ballot, explorateur, arpente méticuleusement la jungle et les berges boueuses des rivières à la recherche d’un animal mystérieux et jusque-là inconnu des zoologues : le «Mokélé-Mbembé», hybride préhistorique de rhinocéros, de crocodile, de serpent et de dinosaure. Animal réel ou bête mythologique ? Ballot enquête sans relâche, interroge des Pygmées, s’ingénie à installer une caméra pour filmer le fleuve et ses remous en son absence, cherche des traces, tente de relever des indices, médite à haute voix. Mais quel crédit accorder aux nombreux témoignages recueillis, que peuvent indiquer de simples croquis que de multiples mains sont prêtes à dessiner pour lui ? Depuis cette quête obsessionnelle se dessine alors en négatif les contours d’une Afrique fantômatique, plus imaginaire que réelle, objet de fantasme, espace mental fait de silence, empreint d’un regard colonial, discret mais insistant. Du coup, la préhistoire n’est plus si ancienne, elle est l’histoire récente, qu’une passion solitaire tente de traquer et à laquelle les Pygmées se jouent de tendre un miroir où leur reflet n’est que la figure vacillante du désir de l’autre. (Nicolas Feodoroff pour le FID Marseille)

IL NOUS FAUT DU BONHEUR

ALEXANDRE SOKUROV & ALEXEI JANKOWSKI

Déchirée par l’histoire, la communauté kurde revit chaque année dans la fête du Printemps, rite de juvénisation très ancien et précédent l’Islam. Au centre du récit se trouvent les figures de deux femmes âgées, à la tête de leurs grandes familles, vivant dans les montagnes du Kurdistan irakien. Peindre une communauté musulmane du Moyen Orient à travers le portrait d’une femme, une femme maîtresse de la maisonnée, tel est le défi du film, qui veut se loger au coeur de la contradiction. Une contradiction que le film installe grâce aux récits de ces femmes, aux images de leur vie quotidienne. Le regard des réalisateurs est celui de voyageurs qui passent et se posent un moment dans la vie d’une autre.

LA MAISON EST NOIRE

FOROUGH FARROKHZAD

1962

Ce court documentaire est l’unique film de la poète Forough Farrokhzad, figure importante de la littérature iranienne. La maison est noire était une commande d’une société caritative luttant contre la lèpre. À 27 ans, se chargeant de la réalisation et du montage, Forough Farrokhzad en fait une oeuvre assurée, entière, simple mais éternelle, qui deviendra un film phare du cinéma d’art iranien. Elle y montrait une étonnante maîtrise de la fusion du documentaire et du langage poétique. Quelques années plus tard, elle mourait dans un accident à l’âge de 32 ans. Des lépreux voués à l’oubli, des enfants défigurés, des femmes qui ne sont plus que des « chansons dans le désert » ; sur ces images la voix de la cinéaste s’élève comme une prière, qui s’adresse à Dieu en chantant la grandeur de l’univers et de la vie, mais cherchant en vain un sens à ce terrible spectacle...